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HOMÉLIE DOMINICALE

Septième dimanche du Temps Ordinaire

24 février 2019

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Rappelez-vous que l’évangile nous avait réservé les surprenantes béatitudes de Jésus la semaine dernière. Aujourd’hui, le commentaire qu’il en fait semble dépasser les bornes et le bon sens :  « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent… » Sortirons-nous de l’église, parce que « c’est vraiment trop fort » ? Cela vaudrait mieux que de rester indifférents, assis et impassibles, comme si ce commandement nouveau n’était qu’une information, sans lien avec la célébration de l’eucharistie. Allons-nous, au contraire, dire « oui », sans « mais » et sans « si » ? Car il ne s’agit pas de vouloir édulcorer cet enseignement de Jésus. Il est là et bien là. Sa signification est sans ambiguïté.

L’épisode de la vie de David vient d’ailleurs l’illustrer. En épargnant son ennemi, il devient le modèle de l’Israélite fidèle. La loi ancienne disait déjà : « Aime ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18). Le vieux Tobie conseille à son fils: « Ce que tu n’aimes pas toi-même, ne le fais à personne d’autre » (Tobie 4, 15). Mais Jésus va plus loin encore que ces recommandations. Aimer, ce n’est pas seulement s’abstenir de faire du tort à son adversaire, comme David nous en donne l’exemple, c’est répondre au mal par le bien, même s’il n’y a pas de réciprocité. Tout est gratuit, sans espoir de compensation, de récompense ou de gratitude. C’est énorme, nous le sentons bien. Cela dépasse nos forces humaines. Il est déjà bien difficile d’aimer vraiment ceux qui nous aiment, alors étendre cet amour à l’extrême, jusqu’à l’ennemi, voilà qui est à l’opposé de nos réactions spontanées.

Ces hommes qui osent laisser la vie sauve à l’ennemi, qui osent présenter l’autre joue, il y en a. Mais la plupart du temps, nous savons comment ils finissent. Du Mahâtma Gandhi à Martin Luther King, elle est longue la liste de ces gêneurs qu’on assassine, comme Jésus. Et pourtant, d’autres hommes prennent la relève. Pour briser le cercle infernal de la violence, des représailles et des contre-représailles, de la vengeance et du bouc émissaire. « A votre capacité d’infliger la souffrance, nous opposerons notre capacité d’endurer la souffrance », disait Martin Luther King. C’est Dieu qui inspire de telles attitudes, qu’on le prie en hindi ou en anglais, en latin ou en grec, en arabe ou en hébreu, en lingala ou en swahili, en français ou en flamand, en serbe ou en croate, en chinois ou en nippon.. « Faites-nous tout ce que vous voulez, nous continuerons à vous aimer », ajoutait le pasteur baptiste américain.

Eh bien, commençons dès maintenant, avec l’aide de Dieu. Nous avons tous des motifs de guerre froide. Nous sommes tous sujets de critiques, de malveillances et de calomnies. Jetons un regard courageux sur nos relatons de voisinage et de travail, sur les conflits d’héritage et d’alliance au sein même de nos familles. La solution évangélique est nette. Il faut répondre par le bien (ce qui ne veut pas dire par de l’affectif ou de l’émotionnel). Il ne suffit pas de détruire les germes de rancune ni d’effacer tout esprit de vengeance. Ce que Dieu attend de nous, c’est la prière sereine, le décision du premier pas quand l’autre est figé dans son immobilité. Ce qu’il attend de nous, c’est que Le laissions aimer à travers nous comme Lui même nous aime sans cesse à l’infini. « Soyez parfaits comme votre Père est parfait » (Matthieu 5, 48).



HOMÉLIE DOMINICALE

Sixième dimanche dans l’année C

  Dimanche 17 février 2019

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Les évangiles nous ont gardé deux versions des béatitudes : celle de Matthieu, que la liturgie propose à chaque fête de Toussaint, et celle de Luc qui revient lors de l’année liturgique qui lui est consacrée. Les huit béatitudes de Matthieu semblent plus acceptables que les quatre de Luc. Matthieu, atténuant sans doute la rudesse des propos de Jésus fait prendre plus facilement à sa version un « sens spirituel ». Luc est plus âpre. « Heureux, vous, les pauvres, maintenant. »

C’est difficile à entendre. En effet, Jésus semble nous dire : « heureux les malheureux ». Et pourquoi? Parce que vous serez heureux plus tard (noter tous les verbes au futur). En fin de compte, l’enseignement de Jésus ne serait-il rien d’autre que ce fameux « opium du peuple » que dénonçait Marx dans la religion ?

Peut-être faudrait-il lire ces Béatitudes sous l’éclairage de la première lecture pour en comprendre le vrai sens. Jérémie nous dit en effet que s’appuyer sur du mortel et du passager revient à construire sur le sable. Jésus dès lors nous propose le bonheur, dès maintenant, mais par d’autres moyens que ceux que nous employons habituellement. Pour cela, il faut partir d’une constatation : nous sommes tous des pauvres, quelle que soit notre fortune. Ma pauvreté essentielle – existentielle – c’est que je vais mourir. Je suis un être limité. Un jour – demain – je disparaîtrai de cette terre qui m’a vu naître. Et tout ce que je fais, tout ce que j’entreprends, tout ce que je vis durant la durée limitée de mon existence sera très vite oublié.

Divertissements, honneurs, situation, richesse sont tous des moyens utilisés pour se donner l’illusion du bonheur, pour se faire croire à soi-même qu’on est comblés ! En quelques mots, Jésus nous met en face de nos mirages : « Malheureux, vous les riches : vous avez votre consolation. Malheureux, vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim. Malheureux vous qui riez maintenant : vous pleurerez… » Pourquoi ? Parce que nous avons fait fausse route dans la recherche du bonheur. Nous nous sommes fermés les yeux et nous n’avons pas voulu voir notre pauvreté originelle : tout ce que nous avons fait pour aller au-delà de nos limites n’était que fuite illusoire. Il y a en nous un besoin d’absolu, d’infini qui ne peut se satisfaire du leurre de la richesse ni du bonheur d’un moment.

Si nous voulons être heureux, il nous faut désirer être plus. Notre désir profond peut toujours se tromper d’objet et s’investir dans les choses que l’on peut posséder. Voilà le leurre. Jésus me dit aujourd’hui : « Heureux les insatisfaits ! » Ceux qui pleurent, les pauvres sont devant nous l’image de notre pauvreté fondamentale. Si nous reconnaissons notre pauvreté, nous serons en mesure d’accueillir la richesse. Voilà le paradoxe. Quelle richesse ? L’héritage divin, la déification, notre participation à la nature divine.

Jésus annonce un bonheur au futur : « Vous serez rassasiés, vous rirez. » En contraste avec les « maintenant » de la faim, des larmes, de la persécution, il parle des promesses pour demain. On en revient à l’opium du peuple ! Si on veut. Si je pense comme Marx, le matérialiste athée, que ma vie est limitée aux quelques dizaines d’années sur terre, effectivement, je ne vois pas pourquoi je ne chercherais pas à tout prix à prendre le plus de bon temps possible. Mais je resterai un condamné à mort. « Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espérance, écrit saint Paul, nous sommes les plus malheureux des hommes. »

Mais dans la perspective de la vie ressuscitée dans une « nouvelle création », toute ma vie terrestre prend un autre sens, une autre valeur. La résurrection du Christ, ma propre résurrection, Paul en fait la pierre de touche de la foi chrétienne. Sans elle, la foi se réduirait à une morale, alors qu’elle porte avant tout sur une promesse. Il s’agit de savoir si, pour nous, Dieu est le Dieu des vivants, le Dieu de la vie. Certes, nous ne savons pas ce que c’est que ce monde de la résurrection. Notre foi est une confiance : « Béni soit l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur : il sera comme un arbre planté au bord de l’eau . »



HOMÉLIE DOMINICALE

Dimanche 10 février 2019

5ème Dimanche du Temps Ordinaire

(Homélie du père Charles André Sohier,  prêtre ermite)

Un des mots importants de l’évangile de Luc, – il revient douze fois – , c’est « aujourd’hui ». En 2019 comme au premier siècle, Jésus arpente toujours nos rivages et nos chemins, entre dans les maisons, passe dans les lieux de travail ou de loisirs. Comme au temps d’Isaïe, il assainit les lèvres impures et accepte que des pécheurs pardonnés s’offrent comme volontaires à son service.

Paul, – il se qualifie d’« avorton », lui qui a « persécuté l’Église » – , rend témoignage à la grâce de Dieu qui a fait de lui un témoin du Ressuscité. De même, la pêche miraculeuse n’est pas un miracle éblouissant et exceptionnel à garder dans les tiroirs d’un lointain passé. Bien plus qu’un prodige elle est un récit où chaque détail renvoie à une expérience spirituelle, où chaque trait nous invite à descendre plus profondément dans notre cœur. Voyons plutôt.

Aujourd’hui le Seigneur rencontre des hommes et des femmes qu’il appelle à le suivre. Et d’abord par une expérience qui déchire la trame monotone des jours ordinaires. Pour un instant, l’homme fait l’expérience de la Présence divine. La perception fulgurante du Dieu trois fois saint qui fait prendre conscience à Isaïe sa condition de pécheur, nous pouvons la vivre ou nous la vivons par instant, à notre manière. Le Seigneur peut nous rejoindre jusque dans notre métier comme Simon-Pierre, jusque dans nos endurcissements comme Paul en route vers Damas.

Aujourd’hui encore, le Maître rencontre des « pêcheurs » compétents, bien formés et entreprenants. Ils sont suivi tous les cours de recyclage et sont convaincus de l’excellence de leurs options apostoliques. Ils ont élaborés projets et plans intelligents. Et les voici, rentrant bredouilles et découragés, les filets désespérément vides, humiliés et dépités. C’est qu’à vrai dire, ils n’avaient compté que sur leurs propres forces et sur leurs certitudes humaines. Ils rêvaient de succès et n’ont ramené, au bout de longues attentes et d’efforts persévérants, que les nasses de la déconvenue.

C’est l’heure alors d’écouter la Parole du Seigneur : « Avance en eau profonde ». Il nous faut aller au large, au risque des eaux profondes qui évoquent les monstres marins et gouffres abyssaux, royaume des esprits mauvais, de Satan et de la mort. « Avance en eau profonde et capture vivants les hommes » que tu sauveras du mal et de la mort.

C’est l’heure où nous laisserons Dieu prendre l’initiative dans nos vies et accorder à nos actions une fécondité inespérée. Il nous donnera la force de prendre le risque de la confiance, d’affronter le monde et ses dangers d’incompréhension, de malveillances, d’échec et de martyre. Car l’important n’est pas de réussir. Ce qui compte c’est de faire confiance, d’ajuster nos vies à ce que nous percevons de l’appel de Dieu. Sur les lieux mêmes de nos échecs, voici que le Seigneur nous invite à repartir pour tendre nos filets en nous confiant à lui. Et se confier à lui, c’est d’abord prendre le temps de la prière silencieuse,,, se laisser aimer et et aimer.

Les hommes auront leurs caprices et leurs refus. Le lac aura ses bourrasques et ses fureurs. Nos efforts paraîtront souvent vains. Mais nous resterons dans la paix des profondeurs. Mais nous recevrons la joie de Jésus. Dans l’abîme intérieur où nous nous rendons, Il est là, qui déploie sa présence aimante et silencieuse. Nous n’avons plus à nous inquiéter des nuits sans prise. Nous savons qu’au matin Dieu saura les remplir comme jamais.

Oui, laissons-nous convoquer autour du Seigneur – Parole et Pain – qui vient ouvrir nos existences étroites à l’irruption du seul bonheur durable.



HOMÉLIE DOMINICALE

Deuxième dimanche du Temps ordinaire

 20 janvier 2019

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Le temps de l’épiphanie de Noël ne se termine vraiment qu’aujourd’hui où nous célébrons les noces de Cana. Et ce n’est pas l’effet du hasard si la première manifestation publique du Verbe de vie dans notre humanité se déroule dans le cadre si humain et chaleureux de noces villageoises. La joie de vivre ne demande qu’à y éclater. Et le signe que Jésus accomplit va dans ce sens. C’est un signe de vie qui s’adresse à des vivants. Grâce à cette eau changée en vin, un simple repas de mariage prend une dimension d’éternité.

Curieusement la première chose que Jean relève, c’est la présence de la mère de Jésus à cette noce de Cana. Il nous parle d’elle, mais sans nous dire son nom. Dans tout son évangile, on ne trouve nulle part le nom de Marie. Il est toujours question de la « mère de Jésus ». Et quand Jésus s’adresse à elle, il l’appelle « femme », ici à Cana, comme avant de mourir sur la croix. On peut s’en étonner. Si nous n’avions que l’évangile de Jean, nous ne connaîtrions pas le nom de la mère de Jésus. Ce qui intéresse l’évangéliste, ce n’est pas Marie de Nazareth comme telle, mais c’est bien « la mère de Jésus », la femme en qui la Parole éternelle du Père a prix chair de notre humanité, celle en qui le Fils de Dieu a commencé son existence humaine.

Et voici, qu’à l’aube de la manifestation de ce mystère au monde, cette femme s’y trouve étroitement associée. Tout se passe comme si Marie n’avait mis pleinement son fils au monde que ce jour-là. C’est sur son initiative, que Jésus anticipe « son heure », « l’heure » de sa manifestation. Au commencement de toute vie humaine, il y a la femme. Et la voici présente aussi au commencement du don que Dieu veut nous faire de sa propre vie en son Fils Jésus, venu en notre chair.

« Ils n’ont plus de vin », appelle discrètement Marie. Elle ne voudrait pas que la joie de la noce tourne à la confusion. Peut-on laisser la joie s’en aller, en ce jour de fête ? L’expression « qu’y a-t-il entre toi et moi, femme ? » pourrait être une tournure sémitique qui, dans ce contexte ci, signifierait : « mon souci est-il le tien ? » Et il ajoute : « Mon heure n’est pas encore venue. »

Même au cœur la fête, il ne perd pas de vue un seul instant ce pour quoi il a été envoyé par le Père. Son souci, à lui, est là. L’heure dont il parle est celle de sa passion et de sa résurrection. Et s’il intervient, c’est pour remplir son geste de changer l’eau en vin de toute la force de vie qui se donnera dans le sang versé, dans sa vie donnée. Par son excès même, – 600 litres de vin capiteux -, il célèbre à l’avance la générosité sans mesure d’une vie divine qui ne demande qu’à se répandre avec surabondance. L’aspiration au bonheur et à la joie de vivre est reprise par un souffle nouveau qui l’emporte vers un avenir inespéré.

La joie humaine de la noce éclate en une joie infiniment plus haute : la joie d’une vie divine qui se donne sans compter. Le signe de l’eau changée en vin nous fait passer d’une modeste noce de village à la grande transformation de l’univers, que Dieu veut accomplir en Jésus.

Ce qui s’annonce ici, c’est bien la naissance de l’homme à la vie divine. L’homme qui, en Jésus, est divinisé. Tout se retrouve dans ce signe. Les eaux primitives de la création, les cuves des ablutions rituelles du Judaïsme sont reprises, transfigurées dans le vin nouveau de la pleine communion de vie des hommes en Dieu. Le désir de bonheur et de vie, qui est au cœur de l’homme depuis toujours, est comblé. Il est étiré jusqu’au cœur de Dieu. Car seul Dieu peut donner ce qui est au-delà de nos forces : Sa Vie et Son Bonheur.



HOMÉLIE DOMINICALE

Le baptême du Seigneur

13 janvier 2019

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Les quatre évangiles rapportent un récit du baptême de Jésus. Mais chacun des évangélistes y apporte sa touche personnelle. Saint Luc, que nous lisons cette année, insiste sur trois points que ne signalent pas les autres :

1. Jésus reçoit le baptême « comme tout le peuple »;
2. C’est « en priant » qu’il reçoit l’Esprit Saint;
3. Enfin, la voix venue du ciel précise que Jésus est « engendré du Père aujourd’hui ».

Entrons un peu dans la manière qu’a Luc de nous faire entrer dans ce mystère qui est le sommet de la révélation divine, de la « Théophanie » de ce temps de Noël.

« Comme tout le peuple se faisait baptiser »…

Jésus prend place dans la longue lignée des hommes et de femmes ordinaires qui attendent leur tour pour se laisser plonger dans les eaux du Jourdain. Rien ne le distingue des autres. Il vient rejoindre, dans l’anonymat, le peuple de pécheurs en attente que nous sommes. Il s’enfonce, discrètement mais profondément, dans la pâte humaine. Il prend même la dernière place pour embrasser dans ses bras toute l’humanité avec ses grandeurs et ses crimes, avec ses générosités et ses folies. Quand, à la suite des autres il remonte des eaux du fleuve, c’est comme une nouvelle naissance qui s’amorce pour tous les hommes qui cherchent à se purifier. Sans tambour ni trompette, un monde nouveau est déjà né. Et déjà cette insistance de Luc nous montre qu’il n’y a pas de vie chrétienne isolée. Un chrétien seul est rapidement un chrétien mort. Le premier effet du baptême est justement de nous faire rentrer dans la famille des enfants de Dieu, et donc des frères de Jésus, qui vivait de la vie de son peuple, tout humblement.

« Jésus priait, alors le ciel s’ouvrit…
L’Esprit Saint descendit… »

Saint Luc nous présente la descente de l’Esprit sur Jésus, non pas comme une conséquence de son baptême, mais comme le fruit de sa prière. De sa prière, dans son intimité avec le Père, Jésus reçoit une nouvelle effusion de l’Esprit. Et ce n’est pas pour lui; c’est pour les autres. Ce n’est pas pour son bien à lui, mais pour l’édification de la communauté.

Et nous ? N’est-ce pas uniquement dans la prière, fidèle, persévérante, quotidienne, que nous pouvons recevoir cette effusion de l’Esprit qui nous rendra disponible à nos frères et à nos sœurs. Prier c’est donc faire place à l’Esprit. C’est se faire creux pour qu’il vienne. La place de la prière, dans nos vies, doit être première, sous peine d’en rester à une grande stérilité spirituelle.

« C’est toi mon Fils.
Aujourd’hui, je t’ai engendré… »

Voici que Dieu présente le charpentier de Nazareth comme son propre Fils. Cet homme parmi les autres est rempli d’un mystère indicible. Il est « engendré » de Dieu dans un présent éternel. Les mots nous manquent, les images sont vaines pour décrire ce mystère. Plongeons dans le mystère de ce prophète galiléen. Nous aussi, Dieu nous engendre, dans le Christ, à chaque instant, chaque jour… Il nous aime comme un Père… Nous ne sommes pas orphelins… En son Fils, nous naissons fils et filles de Dieu.



HOMÉLIE DOMINICALE

Solennité de l’Épiphanie

 06 janvier 2019

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Le message de cette fête de l’Épiphanie est immense. Il donne le dernier mot de l’histoire humaine, puisque qu’il annonce la réconciliation finale des frères ennemis, qui, depuis les origines ne cessent de s’affronter. Dès son début, l’histoire est faite de violence et de fureur.

Isaïe, dans une page d’un lyrisme chatoyant et saisissant, annonce la fin des conflits, la marche pacifique de toutes les nations qui convergent vers Jérusalem, un grand déplacement du monde entier vers la lumière qui se lève en Israël.

Paul lui, voit dans cette unité finale des hommes le mystère par excellence, caché depuis toujours et pourtant secrètement à l’œuvre dans l’histoire du monde. Pour le dire autrement, ce mystère caché, c’est celui du cheminement de l’amour, qui, contre toute apparence, se fraie un chemin à travers nos violences, pour avoir finalement le dernier mot.

Matthieu, dans son évangile, nous propose des images beaucoup plus modestes. Il nous dit que des mages viennent, du côté où la lumière se lève. Ces astrologues païens se sont mis en route, guidé par une étoile. Leur religion « astrale »,est devenue pour eux la voie du salut. Aujourd’hui comme hier, il y a ceux « qui savent », comme « ces chefs des prêtres et les scribes d’Israël », et qui sont enfermés dans leurs certitudes, leur intime conviction ; ne laissant plus à Dieu la chance de se manifester comme il l’entend, ni où il l’entend. ? Ne pourrait-on pas y voir tous les intégrismes religieux , si dangereux quand ils justifient au nom de Dieu, la violence et le meurtre.

Une foi vraie doit se faire humble, intégrer la raison toujours et accepter le doute comme le chemin indispensable…Sans cela, les fondamentalismes religieux ouvrent la porte à des conflits sans merci, à des horreurs sans nom.

Il y a aussi ces « Hérode », nombreux, qui se font de Dieu un ennemi, un concurrent. C’est lui ou eux ! Et ils sont prêts, car il y a également des intégristes laïcs et athées, à écraser dans l’œuf toute forme de foi. Au nom d’une fausse tolérance, n’assistons-nous pas à longueur de médias au déferlement d’un anti-christianisme primaire dans nos sociétés occidentales ?

Et puis, il y a les mages, et nous devons les regarder : ils ont tant de choses à nous apprendre. Pour accéder à Dieu, nos mages se retrouvent à Jérusalem et doivent faire un détour par la découverte de la Bible. Ils se rendent alors à Bethléem, « voient l’enfant avec Marie sa mère et, tombant à genoux se prosternent devant lui. Ils ouvrent leurs coffrets et lui offrent leurs présents. » « Ils regagnent leur pays par un autre chemin ». Si notre monde se cherche et « gémit dans les douleurs de l’enfantement », les mages se penchent sur l’humanité qui naît pour nous faire percevoir, dans la mondialisation de notre terre, les pas décisifs de la manifestation de Dieu à tous les peuples de la terre.

Lorsque les hommes de toutes cultures, langues et peuples, croyants ou non, apprennent à vivre ensemble, à se doter d’organisations régulatrices et à faire progresser, tant bien que mal, la paix et la justice (l’une ne va pas sans l’autre) au cœur des différences, Dieu se manifeste aux peuples de la terre et son royaume fraternel avance.

La mondialisation,si nous la vivons dans la sagesse et le respect des travailleurs et des petits, pourrait bien être une des étoiles, un des signes par lesquels Dieu nous dit aujourd’hui que sa manifestation aux peuples passe par le respect tenace des différences et par le dialogue. Marchons à la clarté de « l’étoile du matin qui se lève dans nos cœurs », comme le dit saint Pierre. C’est une toute petite lumière, fragile comme un nouveau-né, mais, comme lui, remplie de promesses.



HOMÉLIE DOMINICALE

Dimanche 30 décembre 2018

Fête de la Sainte Famille

Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite

Contemplons, en ce temps de Noël, la sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph, et, à travers elle, notre monde d’aujourd’hui. La famille, toute famille est un lieu de passage. C’est à travers elle qu’on pénètre dans le monde, mais il faut en sortir un jour pour prendre sa propre place dans la société. Il en va de même pour l’appartenance à un peuple ou à une nation, qui devrait introduire à la grande famille humaine plutôt que de conduire à un nationalisme étroit exclusif. Les moments de rupture sont nécessaires à la croissance, tout comme la sortie du sein maternel est nécessaire à la naissance.

Le récit de l’Évangile d’aujourd’hui décrit quelques-unes de ces ruptures et en annonce de plus radicales. Contemplons d’abord les yeux de l’enfant Jésus. Ces yeux qui découvrent le monde dans lequel il venait de naître. Ces yeux qui découvrent les personnes et les choses qui l’entourent. Ces yeux certainement remplis d’émerveillement comme tous les yeux d’enfants. Ces yeux qui découvrent le regard de tendresse de Marie et de Joseph. Lui qui nous apprendra, dans sa bonne Nouvelle, à changer notre regard. Lui qui nous invitera à regarder les autres à SA manière. Ses yeux qui impressionnent tant les docteurs, et qui disent à Joseph et Marie une autre paternité que la filiation simplement humaine…

Les yeux de Marie et de Joseph, ensuite regardent avec tendresse, amour et anxiété, leur fils imprévisible , qui déjà leur échappe, l’Évangile nous dit que Marie garde toutes ces choses dans son cœur. Apprenons d’elle à écouter, et à garder dans notre cœur ce que nous ne comprenons pas de la Parole de Dieu, ni de tous les événements que cette Parole doit éclairer en nous et qui pourtant porteront du fruit s’ils rencontrent en nous un cœur ouvert.

Saint Luc nous fait découvrir aussi les yeux des docteurs de la Loi qui sont émerveillés par l’intelligence et les réponses de Jésus et qui voient déjà quelque chose de grand en lui. Mais déjà se laisse entrevoir la lutte à mort que lui livreront ces mêmes docteurs lorsqu’ils commenceront à le percevoir comme une menace. Et pourquoi sera-t-il pour eux une menace ? – Simplement parce que tout ce qu’il enseignera sur son « Père », bousculera leur enseignement sur Dieu et rendra obsolète leur univers religieux.

Nos yeux à chacun de nous deviendront enfin des yeux de Noël quand ils regardent non pas seulement le monde du temps de Jésus, mais notre monde actuel tel qu’il est. En cette fête de la sainte Famille, avec nos yeux de Noël, accueillons nos familles telles qu’elles sont :

– unies
– désunies
– reconstituées

Nos yeux de Noël doivent d’être des yeux remplis d’amour, qui ne jettent pas sur notre famille un regard de condamnation, mais bien plutôt un regard fraternel, un regard bienveillant, un regard d’amour. Nos yeux de Noël n’ont pas de droit de laisser de côté qui que ce soit et certainement pas un membre de notre famille. Que tous ces yeux de Noël nous fassent aller jusqu’au plus profond du mystère : « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils… » Accueillons-le dans la foi et avec amour dans cette eucharistie où il se donne aujourd’hui.

 



HOMÉLIE DOMINICALE

Dimanche 23 décembre 2018

4ème dimanche de l’Avent

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(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Saint Luc nous a finement brossé un merveilleux tableau d’annonciation. Il nous dit, dans le prologue de son évangile, avoir pris de bonnes informations, peut-être dans la famille de Jésus, peut-être même auprès de Marie qu’il nous décrit à deux reprises « retenant tous ces événements dans son cœur » (2, 19.51).

Le récit qu’il nous livre est tout entier composé à partir de réminiscences bibliques, comme la phrase sublime de l’annonciation à Sara et Abraham : « Y a-t-il rien de trop merveilleux pour le Seigneur ? » (Genèse 18, 14) ou le cri de joie d’Anne à la conception de Samuel : « Mon cœur exulte dans le Seigneur » (1 Samuel 2, 1). Comment l’évangéliste pouvait-il traduire en mots l’expérience unique de la Parole de Dieu faite chair et accueillie par Marie, sinon en puisant dans le vocabulaire et les images de l’Ancien Testament ?

Saint Luc met en parallèle deux annonces de naissance : celle de Jean Baptiste à Jérusalem et celle de Jésus à Nazareth ; la première dans le Temple prestigieux, la deuxième dans une bourgade perdue ; l’une à un prêtre qui n’y croit pas, l’autre à une jeune fille qui ouvre tout son être à Dieu et à la vie…

La phrase que la jeune fille de Nazareth prononce est l’une des plus belles qu’un être humain puisse adresser à Dieu. Permettez-moi de faire ressortir un facile point de grammaire du texte grec de l’évangile pour saisir toute la profondeur de la réponse de la Vierge. Lorsque saint Matthieu nous rapporte la prière du Notre Père, il dit par exemple : « Que ton règne vienne ! » Il emploie un impératif qui exprime un désir bien défini.

Marie ici utilise le même verbe grec γινομαι mais à la forme optative, qui exprime un souhait beaucoup plus subtil. Pleine de gentillesse, elle invite le Seigneur, s’il le désire, à entrer au cœur de sa vie et à laisser naître en elle le mystère qu’il vient de lui proposer par son messager. « Si tu le désires, alors, que ton projet prenne naissance en moi qu’il vive entièrement et qu’il habite au cœur de mon être. » Comme la petite esclave juive de la femme de Naaman, le général syrien qui dit simplement : « Ah! Si seulement mon maître s’adressait au prophète de Samarie! Il le délivrerait de sa lèpre… » (2 Rois 5, 3), Marie laisse avec simplicité passer par elle l’œuvre étonnante de Dieu.

 Il est difficile de trouver plus beau modèle de l’Avent. Car l’ange de Dieu est envoyé à chacun de nous pour être le messager de la naissance de Dieu en tout homme. « Dieu engendre à tout moment son Fils en toi  », écrivait le poète mystique allemand Angelus Silesius.

Chacun est appelé à recevoir en soi le germe de la vie divine, à devenir l’auberge de Dieu, la maison où la Parole divine prend chair.

Chacun peut être recouvert par la nuée de la Shekinah (*), de la Présence divine biblique, dans le sanctuaire de son cœur. Demandons à Marie de nous obtenir un peu de sa simplicité. Il suffit de dire vraiment « oui » pour que notre désert fleurisse et que notre stérilité devienne féconde.

(*) Terme hébreu qui désigne la « Présence » de Dieu au milieu de son peuple



HOMÉLIE DOMINICALE

Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite.

C’est aujourd’hui le « dimanche de la joie ». Le prêtre est revêtu à cette occasion, comme au « Laetare » (dimanche de la mi-carême), d’une chasuble rose. Oui, les chrétiens sont porteurs de plus formidable message de bonheur.

Le prophète Sophonie nous invite à faire avec Dieu un tour de danse ! « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations. Réjouis-toi. Tressaille d’allégresse… Car le Roi, ton Seigneur, est en toi ! Ton Dieu est en toi : il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête ! » Et saint Paul surenchérit : « Soyez dans la joie. Que votre sérénité soit connue de tous. Le Seigneur est proche ».

Cette joie de Dieu, envahissant notre coeur, est-elle possible ? Jean-Baptiste, de manière très concrète, nous répond que oui…

mais à trois conditions.

1. La conversion

Le chemin de la joie, pour le Baptiste, passe par la conversion du cœur. Nous portons en nous un désir de bonheur bien plus grand que nous. Seul Dieu peut dilater notre désir à sa mesure qui est d’aimer sans mesure. On n’est libre que dans la mesure où l’on aime, d’un amour de compassion, d’un amour gratuit.

2. Que devons-nous faire ?

Pour cela, nous n’avons à faire, poursuit le Baptiste, que des choses simples. « Si tu as deux manteaux, partage avec celui qui n’en a pas ». Ce n’est pas possible que certains, qui sont en position de force professionnellement, aient une sorte de privilège sur ceux qui sont sous leurs ordres. Eh bien, vous, les percepteurs d’impôts, vous les soldats… vous tous, qui par votre situation, avez les moyens de dominer les autres, « ne faites ni violence ni tort à personne ». Les chemins du bonheur empruntent ceux du partage et de la justice.

3. Être plongé dans le feu

Le Baptiste, enfin, après avoir invité à ouvrir sa garde-robe et son garde-manger, appelle à ouvrir son cœur. « Écoute ! Surtout ne fais pas de bruit ! Écoute les pas du Seigneur vers toi ». Se convertir peut paraître encore facile. Jean ne demande que des choses simples et concrètes. Mais essayons… et nous verrons que changer de vie nous est pratiquement impossible. Il y faut un acte de Dieu autant qu’un acte de l’homme. Pour décrire l’action de Dieu, Jean Baptiste utilise trois images : la plongée, le vent et le feu.

L’Esprit de Dieu veut nous bousculer comme un vent de tempête dans lequel on est plongé, comme un feu qui brûle et décape toutes nos souillures. Voilà ce que nous offre le sacrement de Pénitence de Noël que nous avons l’occasion de vivre avant les fêtes. Qu’il nous conduise plus avant sur la route du vrai bonheur, sur la chemin de la paix du cœur.



HOMÉLIE DOMINICALE

2e dimanche de l’Avent C

09 décembre 2018

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Chaque jour les médias,  les ondes sonores ou télévisées, enveloppent notre planète d’un manteau de tristesse : accidents, morts, corruptions, chômage, violences. Et chacun de nous, personnellement, possède aussi sa robe de soucis, d’échecs et de péchés. C’est vraiment le temps, alors, de laisser résonner en nos cœurs la parole d’espérance du prophète Baruch : « Quitte ta robe de tristesse, revêts la parure de la gloire de Dieu »!

L’Avent est le moment d’oublier les larmes et de s’en venir dans « l’allégresse ». De prier, comme saint Paul, dans la joie. Mais quelle est la source de cette joie ? Quelle est la raison de cette fête ?

C’est que Dieu est à l’œuvre, toujours. Il ramenait les captifs de leur exil. Il adressait sa Parole dans le désert à Jean Baptiste. Aujourd’hui, Il est là, au travail. Il vient nous sauver, il vient nous réjouir.

Le monde ne peut pas se terminer dans l’échec, ni l’homme finir dans une impasse. Luc a construit sa page d’évangile aujourd’hui pour montrer que l’initiative de l’histoire n’appartient pas aux « princes » qui nous gouvernent : Tibère, Ponce Pilate, Philippe, Lysanias, Anne, Caïphe… Non ! Ce ne sont pas eux qui ont marqué l’histoire, c’est Jean Baptiste, le marginal, l’homme du désert sur qui est tombée la Parole de Dieu. Quel contraste ! Il y a les « puissants » qui ne laisseront aucune trace dans l’avenir de l’humanité. Et il y a ce « petit » qui se laisse saisir par un dynamisme caché qui va soulever le monde.

Dieu me demande de participer à ce monde nouveau qu’il est en train de créer : « Préparez le chemin ». Jadis, en Orient, pour recevoir un illustre personnage, on ouvrait pour lui une belle route. Or Dieu ne cesse de venir vers nous. Il nous faut donc, pour le recevoir dignement,  dégager les rocailles de nos sentiers intérieurs. Cela veut dire en clair : « Changez vos cœurs ». Comment ? D’abord en osant espérer, en refusant le découragement. Vous dites parfois que vous n’y pouvez rien à toutes ces robes de tristesse qui enveloppent notre humanité. Eh bien ne rêvez pas : si vous ne pouvez pas changer le monde, vous pouvez changer vos cœurs. Il y a des montagnes d’égoïsme, des collines de paresse, des ravins d’injustice, des passages tortueux de mensonges… en vous. Préparez donc la route du courage par laquelle Dieu vient à vous. Quand Luc décrit l’irruption de Dieu « sur » Jean Baptiste, il date avec précision ces événements : « L’an quinze du règne de Tibère… » Comme si on disait : « L’an deux de la présidence d’Emmanuel Macron, Donald Trump étant président des USA, sous le pontificat François Ier… la Parole de Dieu tomba sur un pauvre homme complètement inconnu qui vivait au désert. Et c’est de lui, l’homme de la Parole et de la prière, qu’est sorti le tournant du troisième millénaire.

Une des raisons de nos découragements, c’est que nous comptons toujours sur les « grands de ce monde » (voire de l’Eglise !), et que nous ne savons pas discerner les germes cachés du monde nouveau, tous les Baptistes d’aujourd’hui, qui invitent les hommes et les femmes à changer la vie.