HOMÉLIE DOMINICALE

Sixième dimanche dans l’année C

  Dimanche 17 février 2019

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Les évangiles nous ont gardé deux versions des béatitudes : celle de Matthieu, que la liturgie propose à chaque fête de Toussaint, et celle de Luc qui revient lors de l’année liturgique qui lui est consacrée. Les huit béatitudes de Matthieu semblent plus acceptables que les quatre de Luc. Matthieu, atténuant sans doute la rudesse des propos de Jésus fait prendre plus facilement à sa version un « sens spirituel ». Luc est plus âpre. « Heureux, vous, les pauvres, maintenant. »

C’est difficile à entendre. En effet, Jésus semble nous dire : « heureux les malheureux ». Et pourquoi? Parce que vous serez heureux plus tard (noter tous les verbes au futur). En fin de compte, l’enseignement de Jésus ne serait-il rien d’autre que ce fameux « opium du peuple » que dénonçait Marx dans la religion ?

Peut-être faudrait-il lire ces Béatitudes sous l’éclairage de la première lecture pour en comprendre le vrai sens. Jérémie nous dit en effet que s’appuyer sur du mortel et du passager revient à construire sur le sable. Jésus dès lors nous propose le bonheur, dès maintenant, mais par d’autres moyens que ceux que nous employons habituellement. Pour cela, il faut partir d’une constatation : nous sommes tous des pauvres, quelle que soit notre fortune. Ma pauvreté essentielle – existentielle – c’est que je vais mourir. Je suis un être limité. Un jour – demain – je disparaîtrai de cette terre qui m’a vu naître. Et tout ce que je fais, tout ce que j’entreprends, tout ce que je vis durant la durée limitée de mon existence sera très vite oublié.

Divertissements, honneurs, situation, richesse sont tous des moyens utilisés pour se donner l’illusion du bonheur, pour se faire croire à soi-même qu’on est comblés ! En quelques mots, Jésus nous met en face de nos mirages : « Malheureux, vous les riches : vous avez votre consolation. Malheureux, vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim. Malheureux vous qui riez maintenant : vous pleurerez… » Pourquoi ? Parce que nous avons fait fausse route dans la recherche du bonheur. Nous nous sommes fermés les yeux et nous n’avons pas voulu voir notre pauvreté originelle : tout ce que nous avons fait pour aller au-delà de nos limites n’était que fuite illusoire. Il y a en nous un besoin d’absolu, d’infini qui ne peut se satisfaire du leurre de la richesse ni du bonheur d’un moment.

Si nous voulons être heureux, il nous faut désirer être plus. Notre désir profond peut toujours se tromper d’objet et s’investir dans les choses que l’on peut posséder. Voilà le leurre. Jésus me dit aujourd’hui : « Heureux les insatisfaits ! » Ceux qui pleurent, les pauvres sont devant nous l’image de notre pauvreté fondamentale. Si nous reconnaissons notre pauvreté, nous serons en mesure d’accueillir la richesse. Voilà le paradoxe. Quelle richesse ? L’héritage divin, la déification, notre participation à la nature divine.

Jésus annonce un bonheur au futur : « Vous serez rassasiés, vous rirez. » En contraste avec les « maintenant » de la faim, des larmes, de la persécution, il parle des promesses pour demain. On en revient à l’opium du peuple ! Si on veut. Si je pense comme Marx, le matérialiste athée, que ma vie est limitée aux quelques dizaines d’années sur terre, effectivement, je ne vois pas pourquoi je ne chercherais pas à tout prix à prendre le plus de bon temps possible. Mais je resterai un condamné à mort. « Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espérance, écrit saint Paul, nous sommes les plus malheureux des hommes. »

Mais dans la perspective de la vie ressuscitée dans une « nouvelle création », toute ma vie terrestre prend un autre sens, une autre valeur. La résurrection du Christ, ma propre résurrection, Paul en fait la pierre de touche de la foi chrétienne. Sans elle, la foi se réduirait à une morale, alors qu’elle porte avant tout sur une promesse. Il s’agit de savoir si, pour nous, Dieu est le Dieu des vivants, le Dieu de la vie. Certes, nous ne savons pas ce que c’est que ce monde de la résurrection. Notre foi est une confiance : « Béni soit l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur : il sera comme un arbre planté au bord de l’eau . »