Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC,
(Texte diffusé pour vous par http://www.cursillos.ca)
« La première chose à faire en écoutant cette parabole de l’enfant prodigue est de comparer l’image que nous avons de Dieu avec celle que Jésus nous donne de son Père. Le premier but de la parabole est en effet de nous apprendre qui est Dieu. Charles Péguy écrivait : «Si tous les exemplaires de l’Évangile devaient être détruits dans le monde, il faudrait que l’on garde au moins une page, celle qui relate la parabole de l’enfant prodigue pour comprendre enfin qui est Dieu : ce Père qui veille, qui attend, ouvre ses bras, pardonne et organise une grande fête pour le retour de son fils.»
Dans notre monde moderne, cette parabole est très actuelle et ce qui retient l’attention en la relisant, c’est le départ du jeune fils. Il reflète bien la situation de nos familles québécoises et celles de plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord.
Il y a des milliers de jeunes et de moins jeunes qui depuis quelques années se sont éloignés de la religion de leurs ancêtres afin de pouvoir affirmer leur autonomie et exercer leur liberté, sans limite et sans entraves. Ils ont pris leur part d’héritage et sont partis, loin de la famille et de la communauté chrétienne. Ils ont quitté ce qui était devenu pour eux un monde d’ennui, de monotonie, de rituels dépassés et se sont aventurés dans un monde de réussite, de bonheur, de liberté et d’opportunités sans limites.
Lorsque le jeune fils demande sa part d’héritage, il ne veut pas seulement une large somme d’argent. En fait, il dit à son père : «Je te considère comme mort pour moi». C’est pourquoi je veux avoir maintenant l’héritage auquel j’aurai droit après ton décès. Combien de chrétiens ou d’ex-chrétiens vivent aujourd’hui comme si Dieu était mort. Cette attitude les incite à obtenir tout ce qu’ils peuvent de la vie, car pour eux, il n’y a rien d’autre. Il est vrai que ceux qui «quittent la maison paternelle» n’agissent pas tous de façon aussi drastique, mais la majorité sont trop occupés par les affaires de «leur pays lointain» pour garder du temps pour Dieu et pour la communauté chrétienne. Il y a la carrière, le standing social, la famille, les divertissements, les amis, les voyages, les sports… Comment voulez-vous avoir du temps pour Dieu à travers tout cela !
Il est difficile en terre étrangère de ne pas adopter les coutumes du pays. Il existe plein d’idoles et graduellement, l’image de Dieu s’estompe et disparaît. Nous risquons de nous rendre esclaves de ces idoles. Coupés de nos racines, de notre pays d’origine, on perd son identité et, comme le dit le fils prodigue, on «ne mérite plus d’être appelé fils ou fille de Dieu».
Les nombreux départs nous font souffrir profondément. Nos communautés vieillissent, nos églises se vident et les jeunes générations ne transmettent plus la foi chrétienne à leurs enfants. Souvent, j’entends des parents qui, la larme à l’œil, me disent : «Qu’est-ce que nous avons fait dans l’éducation de nos enfants pour qu’ils arrivent là où ils sont maintenant? Ils ne croient plus en Dieu et placent toute leur confiance dans leur carrière, leur science, leur succès professionnel, leur gain en bourse. Ils veulent extraire le plus de jouissance possible de la vie maintenant, car pour eux la mort est la fin de tout. Ils semblent oublier qu’il y a une différence entre réussir dans la vie et réussir sa vie!»
La parabole d’aujourd’hui invite à la réflexion. Elle nous rappelle d’abord que Dieu respecte toujours nos choix, même celui de le mettre de côté. Il espère le retour de son jeune fils mais il ne force rien. Si celui-ci décide de revenir, ce sera la fête et nous serons tous invités à partager la joie du père. Dans l’Apocalypse, une belle image de ce respect de Dieu nous est offerte : «Voici que je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui…» (Ap 3, 20) Dieu ne force jamais la porte! Malgré nos égoïsmes et nos manques de respect, Dieu reste un père plein de tendresse, qui «fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes» (Mt 5,45). Il paie de la même monnaie les ouvriers de la première heure et les ouvriers de la dernière heure (Mt 20,1-16). Il refuse de séparer trop vite le bon grain et l’ivraie (Mt 13, 24-30). Il aime tellement le monde qu’il envoie son propre fils pour vivre et mourir parmi nous.
Avec cette parabole de l’enfant prodigue, la communauté chrétienne est invitée à entretenir l’espérance que ceux et celles qui ont laissé la maison paternelle reviennent un jour. Elle est aussi invitée à ne pas durcir son cœur, comme l’a fait le fils aîné au retour du fils prodigue, et à partager la tendresse de Dieu. Mangeons et festoyons, car mon fils était mort et il est revenu à la vie. »