Archives par mot-clé : Kérit.be



HOMÉLIE DOMINICALE

Solennité du Christ-Roi

25 novembre 2018

Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite

_____

« Es-tu roi ? », demande Pilate à Jésus. Non, Jésus ne ressemble pas aux rois avec leur luxe et leur protocole, quand il est né sur la paille d’une étable, quand il travaillait le bois de ses mains à Nazareth, quand il touchait les lépreux et mangeait à la table des pécheurs, quand il « triomphait » à Jérusalem monté sur un petit âne, quand il était cruellement fouetté puis crucifié. Et lorsque nous les voyons face à face : Jésus l’inculpé et Pilate le juge du plus grand empire qui ait dominé le monde, de l’Angleterre à la Syrie, il est clair que Jésus n’est pas roi ! Pilate est d’ailleurs déconcerté pas cet étrange prévenu qui n’a ni armes ni gardes pour le protéger. Non sans curiosité, il lui pose la question : « Es-tu le roi des Juifs ? » La réponse de Jésus lève toute ambiguïté : « Ma royauté ne vient pas d’ici… »

Il y a au moins trois manières d’être roi :

1°) la royauté politique à la manière de Rome : on domine les autres en les asservissant ;

2°) la royauté messianique à la manière de l’attente juive : un descendant de David remonte sur le trône et défait les ennemis d’Israël et de Dieu ;

3°) et puis enfin, la royauté à la manière de Jésus, très différente des deux premières…

Ce dimanche du Christ Roi s’est ouvert par la grande vision du chapitre sept de Daniel : les empires qui se sont succédé dans l’histoire sont comparés à des bêtes sauvages et cruelles, lion, aigle, léopard. Et voici, en contraste, qu’apparaît, « venant avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ». Ce n’est donc pas un personnage quelconque : son pouvoir à lui est plein d’humanité et non bestial, et il vient de Dieu, car les « nuées » sont le symbole du monde divin. Jésus, précisément, a très souvent utilisé ce titre de « Fils de l’homme » pour se désigner. Contrairement aux apparences, cette expression ne souligne pas son humanité, mais son contact intime avec Dieu, sa transcendance.

La seconde lecture décrit « Jésus Christ, premier-né d’entre les morts, souverain des rois de la terre… à Lui gloire et puissance… Il vient parmi les nuées… celui qui est, qui était et qui vient ! » Mais en quoi consiste cette royauté si particulière de Jésus ? Écoutons ce qu’il en dit lui-même : « Oui, je suis roi. Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. » Jésus règne par la foi que nous lui donnons.

Honorer ce roi-là, ce n’est pas d’abord lui organiser des cérémonies triomphales ressemblant aux vanités terrestres. Rendre honneur à Jésus, c’est écouter sa voix, c’est conformer notre vie personnelle, familiale, professionnelle, sociale, à la vérité. C’est imiter Jésus qui n’est pas venu « se » servir lui-même, mais qui n’est que le « témoin fidèle », comme le disait la seconde lecture, témoin d’un Autre, de la vérité de Dieu.

Ne laissons pas ces « rois » de pacotille que sont l’argent, le confort, la vie superficielle, le succès mondain envahir nos cœurs à la place du seul vrai roi dont le règne n’est qu’amour.



HOMÉLIE DOMINICALE

29e dimanche dans l’année B

21 octobre 2018

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Il faut l’avouer, l’évangile est décapant. Saint Marc, aujourd’hui, nous place devant un problème aussi sensible que celui de l’argent dont il parlait dimanche passé. Jésus nous dit ce qu’il pense du pouvoir : « Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur… celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous ». Ne sourions pas de la demande des deux frères Jacques et Jean. Les fils de Zébédée, cousins de Jésus, voudraient obtenir les meilleures places dans le Royaume de Dieu. Ne nous en amusons pas.

 Tous les êtres humains cherchent à dominer, à se placer aux premiers rangs. La passion la plus élémentaire n’est sans doute pas, comme le pensait Freud, la pulsion sexuelle. Son disciple Adler y voyait plutôt la volonté de puissance. Notre société ne se gêne pas pour attiser ce désir, jusqu’à la frénésie. Elle adule les premiers, les plus forts, les plus riches, les plus beaux, les winners, gagnants, les battants. Les premières places : que ne fait-on pas pour y arriver ? Tous ne les atteignent pas, mais tous, de manière plus ou moins avouée, en rêvent.

Face à ce besoin de la nature humaine, Jésus répond en rappelant un enseignement de base, que nous avons tant de mal à mettre en oeuvre. Pas plus que l’argent, l’autorité n’est mauvaise en soi. Mais pour Jésus, la situation de responsabilité n’est pas d’abord une domination, mais un service plus étendu. Ceux qui sont grands devant Dieu, ce ne sont pas ceux qui se font servir, mais ceux qui servent. Ceux qui seront aux bonnes places, ce ne sont pas ceux qui se contentent d’en rêver, mais ceux qui imiteront le Christ, en buvant la coupe des épreuves comme lui, en devenant serviteur comme lui.

Servir de façon désintéressée, dans l’oubli de soi jusque dans la souffrance face aux ingratitudes ou aux agressivités, ce n’est pas facile. Que de gens se disent au service des autres, et ne le sont que fort peu. Les partis politiques se disent au service des citoyens, les syndicats affirment être au service des travailleurs, les médecins se veulent au service des malades, les professeurs au service des élèves, les parent au service des enfants, les curés au service des paroissiens, les cardinaux au service du peuple de Dieu… mais qu’en est-il dans la réalité ?

Les meilleurs chefs sont ceux qui savent faire participer leurs subordonnés. Les meilleurs professeurs sont ceux qui savent susciter l’initiative de leurs étudiants. Les meilleurs paroisses sont celles où les fidèles participent le plus à tous les services. Le mot latin « auctoritas » (autorité) vient de la racine faire croître (« augere »), augmenter. Pour Jésus, c’est bien cela : l’autorité est le service qui aide les personnes à grandir, à devenir elles-mêmes responsables. Le vrai chef est celui qui sait écouter, comprendre, mettre en valeur et respecter .

Ce n’est pas facile. C’est une grâce à demander. Et la raison fondamentale de cette conception radicalement nouvelle du pouvoir, c’est tout simplement d’imiter Jésus. « Le Fils de l’homme est venu pour servir... » Et moi ? Qui ai-je à aimer, à servir, à valoriser, à promouvoir ?



HOMÉLIE DOMINICALE

20eme dimanche dans l’année B

19 août 2018

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite )

Le mot qui s’impose à l’écoute des lectures que nous venons d’entendre est celui de sagesse. C’est la voix de la Sagesse qui invite à goûter de son festin : « Venez manger mon pain, et boite le vin que j’ai apprêté. » Et ce banquet est celui de l’intelligence : « Quittez votre folie et vous vivrez, suivez le chemin de l’intelligence. » Toute la Sainte Écriture convie à prendre le chemin qui conduit au vrai bonheur : celui de la justice et de l’amour, c’est-à-dire celui de l’intelligence selon Dieu.

C’est ce même message que nous donne à entendre le passage de l’épître aux Éphésiens que nous entendions comme deuxième lecture : « Prenez bien garde à votre conduite : ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. Tirez parti du temps présent. » Il n’est de vraie joie que dans la poursuite de la Sagesse. Ne perdons pas de temps à autre chose…

Mais lorsque l’évangile de saint Jean nous fait entendre ces propos étranges : « ma chair est la vraie nourriture et mon sang la vraie boisson… Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui », ne s’agirait-il pas plutôt de folie que de délire ? Oui, si on prenait ces mots à la lettre, comme un appel à je ne sais quelle anthropophagie. Mais, au contraire, sagesse paradoxale de Dieu si on en creuse la signification. Car l’expression sémitique « la chair et le sang » désigne l’homme dans la faiblesse de sa condition terrestre. C’est ainsi que Jésus déclare à Simon-Pierre : « Ce ne sont pas la chair et le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est aux cieux » (Matthieu 16, 17). Saint Jean veut donc ici insister sur le don total que Jésus fait de toute sa personne et sur la nécessité d’entrer à notre tour dans ce même mouvement de service radical. L’eucharistie ne nous est pas offerte pour notre seule satisfaction individuelle, mais comme un dynamisme de service radical dans lequel il faut entrer. Saint Jean ne cites pas les paroles de l’institution de l’eucharistie dans son récit de la dernière cène. Par contre, il met en avant le lavement des pieds, parabole en actes sur le sens de la Passion prochaine. Le « faites ceci en mémoire de moi » se réalise dans l’humble service de l’homme. On pourrait dire qu’à une heure de communion au pain et au vin consacrés doit correspondre une heure de lavement des pieds ! À l’encontre de tout faux mysticisme, le salut apporté par Jésus ne consiste pas à s’évader du monde (Jean 17, 15), mais à y rayonner la splendeur de la présence divine, en laissant le Ressuscité vivre le don radical de soi en nous, dans tout notre être de chair et de sang.

La sagesse de Dieu est folie pour les hommes. En un mot comme en cent : être sage dans le Christ et comme le Christ, c’est être livré à l’amour, à l’amour le plus gratuit qui puisse être. L’intelligence qui est en jeu pour comprendre cela est l’intelligence du cœur le plus profond. Celui qui est sage selon le Christ, celui qui tire sa sagesse de l’eucharistie, du Pain de vie, se laisse guider par l’Esprit qui lui ouvre abîme sans limites de l’Amour (agapè – caritas ) divin. Ce n’est pas assez que de reconnaître la présence réelle du Seigneur sous le pain consacré. Ce n’est pas assez, non plus, de reconnaître la vérité du don personnel du Christ, de son sacrifice dans ce sacrement. Ce n’est pas assez si tout cela nous demeurait extérieur. Le Seigneur se rend présent à eux pour qu’à notre tour nous nous rendions présents à nos frères et sœurs, pour que portions un témoignage « en acte et en vérité » de la vraie Sagesse qui vient de Dieu.



HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du père Charles-André Sohier, prêtre ermite)

16e dimanche dans l’année B

22 juillet 2018

Voilà donc les Douze qui rentrent de leur première mission. Heureux, mais fatigués. Ils ont tant de choses à raconter à Jésus ! C’est pourquoi il part à l’écart : ses amis ont besoin d’un temps de repos et de calme. Mais les gens continuent à courir après Jésus. Qu’est-ce qui les fait courir ? Tout au long de l’histoire, et de nos jours plus que jamais, on a vu tant de chefs, tant de guides (führer, duce, petit père des peuples ou autres), tant de meneurs d’hommes, tant de gourous qui attiraient les foules qu’on peut légitimement se demander en quoi Jésus se distingue d’eux.

Les bergers que Jérémie accuse (dans la première lecture) ont failli à leur tâche parce qu’ils ont divisé et dispersé le peuple. Les « brebis » étaient « à tondre », une source de profits à exploiter. De nos jours encore, tant de gourous créent des sectes où les gens crédules obéissent sans esprit critique et se font abuser.

Jésus est l’anti-secte par excellence. En lui, en sa propre personne, toute haine, toute jalousie, tout mépris de l’autre sont morts. Jamais il ne s’appuiera sur la certitude d’être supérieur : il est « serviteur ». Un point c’est tout. Nous le voyons bien dans le récit de Marc : la foule a besoin de lui, elle le réclame. Il ne se met pas à sa tête pour la guider, la diriger, la conduire ; il se laisse bousculer par elle. Il avait un projet : prendre quelques heures de repos avec ses apôtres. Le projet ne tient plus. Seule comptent ces gens dont il a pitié « parce qu’ils sont comme des brebis sans berger ». Les besoins et les désirs de ceux qui vont à lui, voilà ce qui commande sa vie. Il n’existe que pour les autres.

Vous pouvez relire tous les évangiles : vous verrez que c’est l’attitude constante du Christ, et que cette attitude constante le conduira à la croix. Saint Jean l’explique dans une phrase magnifique : « Comme il a aimé les siens qui sont dans le monde, il les a aimés jusqu’à l’extrême ».

  • Première conclusion : si nous nous disons disciples de Jésus, nous aussi nous avons à nous laisser devenir « serviteur ». Tel est le programme que Jésus propose à tous ceux qui se réclament de lui. Tel est le ferment qu’il vient mêler à la pâte du monde. Pour que le monde dépasse ses sectes, ses partis, ses partis-pris. Pour Jésus, une seule vérité : aimer. Faire tomber le mur de séparation et d’exclusion.
  • Deuxième leçon : Jésus ne se contente pas de se laisser bousculer par ceux qui courent après lui. Sa pitié pour ces gens va le pousser, non pas à les diriger, à prendre leur tête pour changer la situation, mais, simplement « à les instruire longuement ». Instruire, c’est le contraire de dominer. Quand j’instruis quelqu’un, je lui communique ma propre connaissance et ce faisant, il devient au moins mon égal. Instruire, c’est rendre libre. C’est nous donner les moyens de connaître et de juger par nous-mêmes, d’être des « libre-penseurs » au sens vrai du terme, des « penseurs libres ». Jésus instruit la foule pour que chacun puisse se déterminer par lui-même et, faisant un avec le Christ, devenir son propre pasteur, capable de se conduire par lui-même.

« La vérité vous rendra libres », dit l’Évangile. Aucune pression, aucune contrainte dans les démarches du Christ : c’est toujours « si tu veux.. ! » Entrons maintenant dans le mystère de l’Eucharistie, passons sur l’autre rive, laissant derrière nous au moins pour un moment nos problèmes et nos préoccupations. Nous recevrons alors la manne que le nouveau Moïse nous a préparée.



HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du père Charles-André Sohier, prêtre ermite.)

Tous les textes d’aujourd’hui ont pour fil conducteur le thème du choix . Dieu a sur nous des ambitions bien plus hautes que celles que nous inspirent nos désirs et notre amour-propre. « Il nous d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ », dit la lettre aux Ephésiens. Rien ici qui évoque la sombre vision janséniste où l’élection de quelques-uns tranche sur la masse des réprouvés. L’Ecriture clame le contraire : tous sont choisis, tous sont secoués par la stupeur, quand Dieu lance son appel aussi universel qu’inattendu.

 Amos a bien un métier, celui de bouvier et de cultivateur. Il ne s’est nullement fait prophète lui-même, mais il est arraché à ses bœufs par l’appel de Dieu qui en fait son porte-parole. Les Douze sont envoyés par Jésus pour guérir et prêcher, bien avant qu’ils ne s’en croient capables. C’est un magistral retournement, par l’Ecriture, de tout ce que disent les philosophies du XXe siècle. A Jean-Paul Sartre qui disait : « l’existence précède l’essence » (ce qui signifie en termes simples que nous sommes les seuls artisans de notre destin ; que ce que nous serons ne dépend que de nous), la foi répond : la bénédiction de Dieu est sur nous, qui que nous soyons, avant notre vie, pendant et après. Tous nous sommes appelés, attendus et aimés. La formule fulgurante que Niestche a repris au poète grec Pïndare « Deviens ce que tu es », prend son plein sens chrétien : nous devons incarner ce que Dieu a rêvé pour nous.

Il nous appartient d’accomplir son espérance. Vivre, c’est entendre son appel et nous mettre en route. La sainteté c’est de consentir à l’appel de la grâce. Car, si on consent à devenir disciple de Jésus, il s’agit de partir avec un cœur libre et disponible. Le fidèle va son chemin simplement, d’un pas léger, sans s’alourdir de manteaux supplémentaires, de précautions, de soupçons, sans autre bagage que des sandales aux pieds et un bâton. La route dont Jésus parle ici, c’est la vie. Il ne s’agit pas d’aller jusqu’au bout de la terre ou de la rue, que d’aller jusqu’au bout de soi-même. Il faut être équipé sobrement pour enjamber sans peine les obstacles de la vie quotidienne. Et le bâton « du mendiant contre les chiens », comme dit le poète Francis James, nous permet de ne pas nous laisser submerger par les hostilités rencontrées en chemin. Jésus nous donne ici un art de vivre, salubre et poétique, où l’unique nécessaire nous gratifie d’une liberté intérieure qui, d’elle-même, témoigne du Royaume de Dieu.

Songeons à l’impact qu’a encore aujourd’hui le témoignage d’un saint François d’Assise. Le choix pour Jésus ce n’est ni l’argent, ni la nourriture, ni les diplômes, ni les paquetages. Croire, c’est marcher sa vie, c’est renaître à l’espérance à « l’aurore de chaque matin » (Jacques Brel).

Pour réussir cette aventure, il faut être deux, il faut faire équipe, passer de la solitude à la confiance, s’aimer comme des frères remis à la garde l’un de l’autre. C’est là le mystère de l’Eglise.



HOMÉLIE DOMINICALE

Homélie du père Charles André Sohier – Prêtre ermite

La Nativité de Jean Baptiste

Dimanche 24 juin 2018

L’Église célèbre la naissance du Sauveur au solstice d’hiver et celle de Jean-Baptiste au solstice d’été. A ces deux fêtes, séparées l’une de l’autre par un intervalle de six mois, on peut donner un même titre, la Noël d’hiver pour Jésus et la Noël d’été pour Jean… Mais pourquoi célébrer la naissance de Jean-Baptiste ? La fête de tous les autres saints est célébrée le jour de leur mort, c’est-à-dire le jour de leur naissance au ciel, de leur naissance à la vie éternelle. Jean-Baptiste est le seul à qui soit réservé cet honneur ; et cela dès le cinquième siècle, car la fête de la Nativité de la Vierge Marie ne fut instituée que beaucoup plus tard.

Alors, pourquoi ce privilège donné à Jean Baptiste ? : Parce qu’il a été sanctifié dès le sein de sa mère Élisabeth, quand il tressaillit d’allégresse devant le Messie que portait en elle Marie. Le petit Jean de 6 mois était déjà en train de « rendre témoignage à la lumière afin que tous croient par lui » (Jean 1,7). Les moines médiévaux qui firent construire la basilique de Vézelay  ont joué sur ce symbolisme de la lumière. Au moment où le jour est le plus long, le 24 juin, l’Eglise invite à fêter la Nativité du Baptiste. « Parmi les enfants des femmes, il n’en a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste » (Matthieu 11,11). Ce jour le plus long de l’année illustre la grandeur du précurseur. C’est à ce moment que se dessine dans la basilique, au pavement de la nef plongée dans un clair-obscur, un chemin de lumière (à 12.00 heure solaire, soit 14.00, heure d’été), qui conduit au chœur circulaire et lumineux, symbole de la lumière du Christ. « Celui-là (Jean-Baptiste) n’était pas la lumière » (Jean 1,8). Il ne faut pas s’arrêter à Jean-Baptiste lui-même, il en désigne un autre, il montre la route vers un autre. Sitôt la fête passée, les jours cessent de rallonger et bientôt vont raccourcir. « Il faut que lui (Jésus) grandisse et que moi (Jean-Baptiste) je diminue » (Jean 3,30.)

La lumière telle que nous la connaissons ici-bas, ne peut pas croître indéfiniment, elle a une limite, un solstice. Mais ce n’est pas un sujet de tristesse pour autant. « L’ami (Jean-Baptiste) de l’Epoux (Jésus) qui se tient là et qui l’entend est ravi de joie à la voix de l’Epoux. Telle est ma joie et elle est complète » (Jean 3,29). Ce chemin qui mène au chœur et que nous voyons à la Saint Jean est le secret de la joie.

Mais à Noël, quand les jours sont les plus courts, mais qu’ils vont bientôt commencer à s’allonger, l’Eglise célèbre la Naissance de Jésus. Celui qui naît à Noël, c’est lui la lumière. Et là nulle limite, aucune nuit ne met fin au jour que nous apporte Jésus-Christ. Pas même la mort.

Ne sommes-nous pas chacune et chacun appelé à préparer le chemin du Seigneur ? Comment ? De deux manières me semble-t-il. – Être « une voix qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur » (Isaïe 40,3). Notre vocation de baptisé, de consacré ou de prêtre est d’annoncer en mots et par toute notre vie notre raison de vivre : Jésus. De semer sa parole. De témoigner de son Amour. Sans vouloir en voir les fruits, sans chercher à en tirer une gloire ou un profit personnel. « Je ne suis pas chargée de vous le faire croire, mais de vous le dire », répliquait Bernadette Soubirous à ceux qui mettaient en doute son témoignage sur les apparitions de Lourdes…

Jean est le modèle du témoin de la présence discrète de Dieu dans ce monde de bruit et de fureur. – Laisser Jésus grandir en nous. Il faut laisser disparaître notre moi égocentrique pour laisser transparaître le Christ en nous. C’est la présence de Jésus en nous qui touche le cœur de nos frères. Rien d’autre. Et pour cela, il nous faut plonger dans les profondeurs de la prière pour devenir des hommes et de femmes qui réfléchissent la lumière de Dieu.

Voici la Saint Jean d’été, la belle journée où crépitent les feux de joie ! « Et toi, petit enfant, on t’appellera prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer le chemin, …Telle est la tendresse du cœur de notre Dieu ; grâce à elle, du haut des cieux, un astre est venu nous visiter » (Luc 1, 77-78).



HOMÉLIE DOMINICALE

Septième dimanche de  Pâques B

13 mai 2018

 (Homélie du père Charles André Sohier)

Dans l’évangile de ce dimanche intermédiaire, entre Ascension et Pentecôte, nous avons un écho de la longue prière de Jésus juste avant son arrestation au jardin de Gethsémani. Et cette prière, elle est pour ses disciples, et donc pour nous aussi. Il prie pour que, comme le Père et comme lui, nous soyons « saints ».

  • Une incandescence inimaginable: Pour approcher un peu ce que cela signifie, une image physique peut nous aider. Les savants calculent, aujourd’hui, que l’univers, dans son fameux « big bang », a commencé par des températures supérieures à 100.000 milliards de milliards de degrés Kelvin. Or, personne n’a actuellement la moindre idée de ce qui peut se produire dans la matière à des températures pareilles. De même, personne ne peut se faire la moindre idée de ce qu’est réellement Dieu : quand nous essayons de l’aborder, tout brûle, tout flambe. Dieu est saint, Dieu est tout-autre ! Cette température fantastique qui règne au cœur de Dieu, Jésus nous en a dévoilé un aspect. Elle est celle de l’amour. Trois personnes qui ne font qu’un, dans l’amour. « Garde mes disciples dans la fidélité à ton Nom… pour qu’ils soient un comme nous-mêmes. » Dieu est une communauté de trois personnes tellement unies entre elles qu’elles ne font plus qu’un. C’est l’idéal même de tout amour véritable. Toute l’action de Jésus a été d’amener ses disciples au seul lieu où l’amour est totalement vrai, totalement saint, c’est-à-dire sans la moindre parcelle d’égoïsme ou de repli sur soi. Réaliser un peu d’amour dans nos relations humaines, dans notre vie de famille, dans notre travail professionnel, dans nos engagements, c’est concrétiser ici-bas un peu de la « température fantastique » qui est le secret de la Trinité. Et c’est entrer dans sa joie.
  • Une joie sans mélange: La joie de Jésus est profonde, continue, indestructible. Elle est le bonheur d’aimer et d’être aimé du Père. C’est l’allégresse de l’Esprit Saint. Joie paradoxale, puisque Jésus l’exprime au moment où il pressent sa fin imminente. Mais il meurt d’amour du Père et de ses frères : comment pourrait-il en être triste ? La liesse chrétienne, en prolongation de celle du Christ, vient de se découvrir aimé sans limite et de commencer à aimer en retour. En Jésus, le tout-autre se fait le tout-proche, le saint se fait le confident, l’inaccessible flamme, qui brûlerait tout, se fait douce présence. Si nous prenions conscience de cette dignité extraordinaire que nous procure le baptême, nul ne pourrait ravir notre joie. Il y a, pour le chrétien, un « devoir » d’être joyeux. Et c’est excellent pour la santé, la nôtre et celle des autres !

Laissons donc Jésus nous donner part à l’incandescence même de l’Amour qui unit les trois personnes divines entre elles. Laissons-nous travailler par l’Esprit qui veut transformer notre minerai plein de gangue terreuse en or pur d’un amour et d’une joie sans mélange.



HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du père Charles André Sohier, prêtre ermite)

Qu’est-ce être chrétien ? Comment devenir disciple de Jésus ?

C’est à cette question qu’avaient commencé à répondre les deux premiers disciples de Jésus, lorsque le Baptiste leur désignait Jésus en disant : « Voici l’Agneau de Dieu. » (Jean 1, 36.) La question posée à Jésus par les deux disciples avait alors été : « Où demeures-tu ? » et sa réponse : « Venez et vous verrez. » Ils ont suivi Jésus pendant sa vie publique, ils ont vu où il demeurait, et ils ont cru en lui.

Maintenant,  il leur faut aller plus loin. C’est pourquoi, dans l’extrait de l’Évangile de Jean qui nous est proposé aujourd’hui, Jésus achève d’expliquer à ses disciples ce qu’est être son disciple. Nous sommes lors du dernier repas. Judas vient de sortir pour le livrer. Jésus fait ses adieux et donne les dernières recommandations à ses amis. Il leur apprend comment vivre en son absence, comme disciples.

L’image de la vigne a pour but de faire entrer les disciples dans la relation qu’ils doivent avoir avec lui. Une relation de grande proximité, malgré l’absence, car elle se vit dans la communion. « De même que le sarment ne peut porter du fruit par lui-même s’il ne demeure sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez en moi. » La fécondité des disciples dépend de leur proximité avec le Christ. En restant liée au Seigneur, l’Église porte du fruit. « Demeurez en moi, comme moi en vous. » « Où demeures-tu ? », avaient demandé les deux disciples. Puisqu’ils ont manifesté dès le commencement leur souci de suivre Jésus là où il demeurait, il leur faut maintenant garder ce désir de demeurer avec lui : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit. »

Ce que les premiers disciples découvrent nous concerne aussi. Comme chrétiens, la première des exigences concerne notre relation avec le Christ. Elle est faite d’un lien vital, profond, dans la confiance. C’est uniquement dans une intimité unique avec le Christ que nous pourrons véritablement porter du fruit. Et cette intimité ne peut se vivre que par la fréquentation assidue de sa Parole dans la Bible, que par l’accès aux sacrements et, j’en suis totalement convaincus, à la suite de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix, que par l’oraison quotidienne, longue et fréquente.

« Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit. » Le fruit le plus précieux que nous portons n’est finalement que celui que nous acceptons de recevoir dans la prière : l’amour. « Voici son commandement : avoir foi en son Fils Jésus-Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. » On ne peut répondre à l’amour que par l’amour, nous dit la première lettre de Jean. Un amour qui nous tourne vers Dieu et vers les autres. Mais pas de façon immatérielle, abstraite mais « par des actes et en vérité. » Le disciple sait que demeurer en Dieu passe par l’amour concret qu’il a pour ses frères et sœurs en actes et non en paroles seulement.

La première lecture nous propose comme exemple de disciple la personne de Paul. Après avoir cherché à combattre la foi chrétienne dans ses premiers germes, voilà qu’il fait l’expérience bouleversante de la rencontre avec le Christ. Et après avoir ensuite rencontré l’Église par Ananie qui a l’émouvante audace de l’appeler « Saül, mon frère » il reçoit guérison et Esprit Saint et pourra alors témoigner de celui qu’il a rencontré et qui a changé sa vie. Il demeure dans le Christ comme le Christ demeure en lui, et cela se voit et s’entend : « Paul allait et venait dans Jérusalem avec les apôtres, prêchant avec assurance au nom du Seigneur. »

Soyons des hommes et des femmes qui vivent, par la prière et par l’écoute de la Parole, en communion avec le Christ, branchés sur lui comme le sarment sur la vigne. Soyons des témoins de l’amour de Dieu, non par de simples paroles mais « par des actes et en vérité. » Nous pourrons alors entendre Jésus nous dire : « Ainsi, vous serez pour moi des disciples. »



HOMÉLIE DOMINICALE

Troisième dimanche de Pâques B

15 avril 2018

(Homélie du père Charles André Sohier)

Après sa mort, Jésus s’est rendu présent de façon aussi réelle que mystérieuse. C’était vrai pour les apôtres autrefois et le reste tout autant pour nous aujourd’hui : présence réelle mais présence mystérieuse.

Les apôtres ont su qu’après sa mort Jésus était vivant car il s’est rendu présent à eux de façon privilégiée. C’est ce qu’on appelle les « apparitions.» Tous les récits d’apparitions dans l’évangile expriment deux aspects. D’abord, la présence de Jésus est absolument réelle : «  Regarde-moi, je ne suis pas un fantôme, un fantôme n’a pas de corps.» « Regardez mes plaies, c’est bien moi..» « Avez-vous du pain et du poisson ?..»

Mais ensuite, la présence de Jésus reste absolument mystérieuse : Marie-Madeleine le prend pour le jardinier. Les disciples d’Emmaüs marchent avec lui sans le reconnaître et Jésus leur échappe au moment même où il se laisse entrevoir. Les apôtres sont saisis de stupeur et le prennent pour un fantôme. Il est le même et pourtant tout autre.

La résurrection de Jésus n’est pas simple retour à la vie antérieure. Elle est passage définitif d’un homme en Dieu. C’est pour dire cela que les premiers chrétiens employaient des expressions comme : « Il a été exalté… Dieu l’a glorifié… Il est assis à la droite de Dieu… Il est le Seigneur » Telle était la foi des apôtres. Même si c’était mystérieux pour eux, nous savons que c’était bien réel. Ils ont préféré – l’un après l’autre – mourir plutôt que de renoncer à ce qu’ils croyaient : Jésus est vraiment ressuscité.

Et pour nous aujourd’hui ? Comment être sûr de rencontrer le Christ ? La question est de taille. C’est le cœur de la foi chrétienne. La réponse la voici, vous la connaissez. Oui le Christ nous a donné des rendez-vous précis. On fait l’expérience de la présence réelle du Christ, même si c’est mystérieux :

–             dans sa Parole,

–             dans la prière et les sacrements,

–             dans la vie quotidienne.

  • Premier rendez-vous : la Parole.

La Parole de Dieu peut être le lieu privilégié de la rencontre avec Jésus ressuscité. « Si vous demeurez dans ma Parole, dit Jésus, vous me connaîtrez.» La Parole de Dieu, l’Evangile, la Bible, une revue, un livre religieux, les homélies du dimanche, une émission religieuse à la radio à la T.V., la liturgie de l’eucharistie ou des Heures sur notre tablette ou smartphone (chercher AELF  sur AppleStore ou Google Store)…  IL n’y a plus aucune excuse à ne pas prendre le temps de demeurer dans la Parole du Christ ?

  • Deuxième rendez-vous : la prière et les sacrements

La rencontre avec le Christ vivant se réalise dans la prière… quand on ne se contente pas de parler du Christ, mais quand on parle au Christ. La prière fidèle, régulière, où l’on demeure et pas seulement une prière en passant. Cette étroite union se réalise aussi de façon privilégiée dans la Communion, à la Messe, vous le savez bien. On peut le dire aussi de tous les sacrements. La prière et les sacrements sont les sources où les chrétiens puisent régulièrement pour recevoir la vie du Christ, l’Esprit du Christ ressuscité.

  • Le troisième rendez-vous, la vie, notre vie.

Pas besoin de quitter la vie quotidienne pour rencontrer le Christ. « Jésus où demeures-tu ? » L’Evangile nous enseigne que le Christ demeure désormais à fleur de visages, dans le temple immense et tragique de l’humanité. Ce que l’on fait au plus petit des ses frères, c’est à lui qu’on le fait. On ne peut pas se dire chrétien, on ne peut pas rencontrer le Christ, si on n’essaie pas d’aimer ses frères comme Jésus nous a aimés.

Dans un monde en quête de repères, qui est capable du meilleur et du pire et qui cherche  la bonne direction à prendre, dans ce monde-là, nous sommes envoyés pour être les témoins de l’amour et de la vie de Dieu.

 



HOMÉLIE DOMINICALE

Dimanche 04 mars 2018

(Homélie du père Charles André Sohier)

Le temple de Jérusalem, construit par Hérode le Grand à partir de 20 avant Jésus Christ, était une belle et vaste construction. Outre le sanctuaire et le Saint des Saints, il comportait deux grandes cours, celle des hommes et celle des femmes, ainsi qu’une immense esplanade : le parvis des païens. C’est là que beaucoup se rassemblaient pour traiter leurs affaires, écouter les docteurs de la Loi, acheter des animaux pour les sacrifices et changer de la monnaie. C’est dans ce brouhaha de souk oriental, que se place l’incident rapporté par saint Jean. Jésus, en colère, fouet en main, chasse les marchands du temple. « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic », dit-il, en accomplissant ce geste prophétique. Je vous propose de méditer sur trois leçons de cet épisode.

L’attachement à l’argent

L’argent est nécessaire, mais il est aussi un piège. Quant s’instaure le primat de l’économique à l’échelle mondiale, on glisse inévitablement dans la spirale du chômage, de la violence et du mépris des droits essentiels de la personne humaine. Au temple de l’or et de l’argent, avec son cortège d’injustices et de misères, nous avons à substituer le temple de la justice, de l’amour désintéressé et du respect. Voilà pourquoi Jésus chasse les marchands du temple. Mais ne nous contentons pas d’appliquer cela aux autres. Convertissons-nous nous-mêmes sur ce sujet. La passion du pouvoir et de l’avoir se glisse partout, y compris dans notre propre cœur.

La maison de mon Père

Mais l’essentiel ne se trouve pas encore là. Écoutons longuement cette étrange expression que Jésus utilise pour parler du temple : « la maison de mon Père ». Quel secret, quelle plongée dans l’intimité de sa personne, se cachent sous ces formules. Il est chez lui dans ce Saint des Saints, ce sanctuaire tabou, où nul ne peut entrer, sauf le Grand Prêtre, une fois par an. Ce lieu intouchable, séparé de tout, Jésus dit tout simplement que c’est la « maison de son Père », et sa propre maison de fils. Oui, ce qui est premier dans le culte que nous rendons à Dieu, ce ne sont pas les gestes (bœufs, brebis ou colombes), mais la confiance filiale que nous y mettons.

Le sanctuaire de son corps

Nous arrivons, avec cette phrase, au cœur de cette page d’évangile. C’est son corps, ce corps qui sera crucifié et ressuscité, qui est le nouveau temple. Ainsi, le lieu de la Présence de Dieu, n’est plus un édifice, c’est Quelqu’un ! C’est le Corps du Christ. Toute la liturgie chrétienne tourne autour de cette mystique du Corps du Christ.

Mais comprenons jusqu’où va ce mystère ! « Ne savez-vous pas que vous êtes le Temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? », dit saint Paul aux Corinthiens. Ainsi, ce n’est pas seulement le corps ressuscité de Jésus qui est le nouveau temple, mais le corps de chaque baptisé. En recevant le corps de Jésus, je deviens son corps qui est un sanctuaire. Voilà jusqu’où se fonde l’éminente dignité de l’homme.