« Ils se levèrent et chassèrent Jésus hors de la ville »
(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.)
Afin d’accentuer le rejet de Jésus par les gens de son village, Luc a transformé cette première rencontre dans la synagogue de Nazareth et l’a située au tout début de sa vie publique. Chez les autres évangélistes, nous retrouvons cet événement plus tard dans le texte (Matthieu 13, 54 ; Marc 6, 1).
Les habitants de Nazareth sont d’abord dans l’admiration, mais Jésus ne cède pas à la tentation de la popularité facile, du consensus superficiel. Les Nazaréens voudraient profiter de privilèges exclusifs, de miracles spéciaux parce qu’il est l’un des leurs. Mais ils refusent de croire en lui car il le connaissent bien, «il est le fils de Joseph». Ils veulent se l’approprier mais tel qu’ils l’ont connu dans le passé, fils du charpentier. «Pour qui se prend-il maintenant ? Qui croit-il être ?» Et finalement ils le chassent hors de la ville, pour le précipiter en bas de l’escarpement.
Dans le texte d’aujourd’hui nous avons un résumé de la vie de Jésus qui, dans moins de trois ans, sera condamné et de nouveau «chassé hors de la ville» pour y être crucifié. «Chassé hors de la ville !», symbole cruel de rejet total. Les lépreux sont chassés hors de la ville, de même que les malfaiteurs et les condamnés à mort.
À plusieurs reprises, les évangélistes soulignent l’agressivité de ceux qui refusent le Christ et la joie de ceux qui sont ouverts à son message. Luc oppose l’attitude des gens de Nazareth à celle des habitants de Capharnaüm, ville cosmopolite et en grande partie «païenne» mais où Jésus est mieux accepté que dans son village. À la naissance de Jésus les bergers se réjouissent, alors que Bethléem lui ferme la porte, sous prétexte qu’«il n’y ait a pas de place pour lui dans la salle commune». Matthieu oppose le roi Hérode et les notables de Jérusalem aux sages venus d’Orient, ces chercheurs de Dieu qui se réjouissent grandement à la réapparition de l’étoile. S. Jean dira plus tard : «Dieu est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu»…Mais il ajoutera : «à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu» (Jean 1, 11).
En lisant le texte d’aujourd’hui, nous sommes tentés de condamner les gens de Nazareth et la classe politique et religieuse de Jérusalem, tout en nous félicitant, nous les chrétiens, d’accepter Dieu à bras ouverts, d’être du bon côté !
Cependant, si nous sommes sincères, nous devrons admettre que souvent nous rejetons Dieu «hors de» nos familles, de nos maisons, de nos entreprises, de nos décisions importantes. Nous allons le visiter pendant une petite heure le dimanche et ensuite nous le laissons dans le tabernacle, lui refusant accès à notre vie de tous les jours. Séparation de l’Église et de l’État oblige ! Mais le Christ nous demande d’être chrétiens 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
La maison familiale doit être pour nous «une église domestique», un lieu où la foi et les valeurs chrétiennes se transmettent de génération en génération. Bon nombre d’enfants et de petits enfants ne fréquentent plus les célébrations dominicales et les autres activités de la communauté chrétienne. Cependant, par notre façon d’agir et de parler, par les prières que nous faisons en famille, par les cadres décoratifs et les objets qui embellissent notre maison, les enfants et les petits enfants doivent se rendre compte que nous sommes chrétiens. Ils doivent retrouver chez-nous une ambiance de foi, d’espérance et de charité ?
Le monde d’aujourd’hui n’est plus, bien sûr, l’univers chrétien qu’ont connu nos parents et nos grands parents et nous devons vivre dans la société pluraliste actuelle. Des religions diverses ont fait leur apparition à travers l’immigration et de nouvelles idéologies se rencontrent sur la place publique. Dans ce monde multi dimensionnel, nous devons permettre à ceux et celles qui pensent différemment de nous de vivre en paix et d’agir selon leurs convictions. Mais ça ne veut pas dire que nous devons abandonner nos propres croyances, convictions et traditions religieuses.
Si, par exemple, un non-chrétien désire ne pas utiliser le mot «Noël» sur ses cartes de souhaits, c’est son droit, car la fête de la naissance de Jésus n’a pas de résonance chez-lui. Mais cela ne nous oblige pas à faire disparaître tout ce qui est rattaché à notre fête chrétienne, à la vider de son contenu religieux.
Certains groupes croient que la religion n’a pas sa place dans le domaine public. Ils voudraient que nous les chrétiens professions «une foi de sacristie». Le Christ nous rappelle constamment que nos valeurs doivent influencer tout ce que nous sommes et tout ce que nous faisons. Il nous faut éviter de chasser Dieu hors de nos activités, de nos entreprises, «de nos villes». C’est justement «dans la ville» que nous devons vivre les valeurs de paix, de fraternité, de pardon, d’ouverture aux autres, de partage, etc. Combien de baptisés, par leur silence et leur indifférence, poussent Jésus «hors de la ville» afin de s’accommoder aux modes du temps ?
L’évangile d’aujourd’hui nous provoque et veut nous sortir de la torpeur et de l’indifférence. Baptisés de longue date, nous sommes peut-être habitués à vivre d’une foi tranquille et peu compromettante. Avec les gens de Nazareth, le Christ nous rejoint aujourd’hui, au cœur même de notre existence, et il nous invite à le laisser agir dans notre quotidien «afin que nous ayons la vie en abondance» (Jean 10,10).
Laissons la Parole de Dieu pénétrer jusqu’au fond de notre cœur et permettons au Seigneur de nous accompagner tout au long de notre vie. Ne le chassons pas «hors de notre ville».