(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada)
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Celles qui étaient prêtes entrèrent dans la salle de noces
L’Église nous propose, en ces derniers dimanches de l’année liturgique, des passages d’évangile, où Matthieu a regroupé les enseignements du Seigneur sur les «derniers Temps» : annonce de la destruction du Temple, invitation à la vigilance, le serviteur qui attend son maître, les jeunes filles qui doivent accompagner le marié, la parabole des talents, le jugement dernier. Il faut se rappeler que l’évangéliste écrit son texte quelques années seulement après la destruction de la ville et du Temple de Jérusalem. Ceci lui apparaît comme le signe évident de la fin d’un monde qui est disparu à jamais.
L’évangile souligne ici qu’en fin de compte nous devons seuls assumer la responsabilité de nos choix. L’évangile d’aujourd’hui nous parle de jeunes femmes sages et de jeunes femmes folles. Le mot «folles», «môrai», ne signifie pas tellement une personne sans intelligence, mais plutôt une personne impie, celui ou celle qui est assez fou pour s’opposer à Dieu. Le Psaume 14, 1 nous dit : «Le fou (môros) dit en son cœur: il n’y a pas de Dieu!». Dans les évangiles, «môros» désigne «celui ou celle qui bâtit sa maison sur le sable et ne met pas en pratique les paroles de Jésus» (Mt 7, 24)… Il s’agit donc d’une attitude spirituelle.
Cette parabole s’applique à chacun de nous : parfois, nous sommes comme les jeunes filles prudentes qui ont su se faire des réserves et parfois nous sommes comme les jeunes filles sottes qui ne pensent qu’à l’instant présent. L’être humain et l’animal ont l’habitude de prévoir et faire des provisions. A l’approche de l’hiver, les ours se préparent au sommeil hivernal, les castors et les ratons-laveurs recherchent des endroits chauds et protégés. Les écureuils ramassent des glands et des noix qu’ils entreposent afin de subsister jusqu’au printemps. Nous équipons nos voitures de pneus d’hiver, sortons nos manteaux et nos bottes, achetons du bois et de l’huile à chauffage. Les humains comme les animaux sont à la fois avisés et prudents, sages et vigilants, dans leur manière d’agir.
Au cours de notre vie, nous avons sans doute connu des moments difficiles où une réserve d’amour, de tendresse et de compréhension nous ont permis «de passer à travers». Nous nous sommes alors posé la question: «Comment ai-je pu traverser tout cela?» La force de caractère, la persévérance, l’espérance et l’amour nous ont permis de récolter les fruits d’une prévoyance riche en patience et en compréhension. Par contre, Nous avons peut-être expérimenté personnellement le coût du manque de prévoyance : lorsqu’une perte d’emploi ou une grève inattendue nous prend au dépourvu, lorsque le manque de solidarité provoque la fin d’une grande amitié, lorsque des mésententes continuelles conduisent à la séparation ou au divorce.
Nous ne pouvons espérer qu’un projet se prolonge quand les ressources sont épuisées, nous ne pouvons atteindre le printemps sans avoir, à l’automne, constitué des réserves. La différence entre les jeunes filles sages et les jeunes filles étourdies est la capacité de faire des réserves.
Certaines personnes pensent que les «sages» sont égoïstes parce qu’elles ne veulent pas partager leur huile, mais l’évangile souligne ici qu’en fin de compte nous devons seuls assumer la responsabilité de nos choix. Nous ne serons pas sauvés parce que nous avons une tante religieuse, une mère qui priait le chapelet chaque jour, des parents qui allaient à la messe régulièrement, un fils qui travaillait avec les immigrants et les pauvres. On devra répondre personnellement de ce que nous avons fait ou manquer de faire. Le Christ insiste sur la responsabilité de chacun et de chacune.
Dans le roman de Thorton Wilder, Le Pont de San Luis Rey, où l’action se déroule au Pérou, l’auteur raconte l’histoire de quelques personnes qui voyagent sur une diligence, au 19e siècle. Arrivés à San Luis Rey, le vieux pont s’effondre sous le poids de la diligence et tous les passagers perdent la vie. Wilder raconte ensuite l’histoire de chacun des voyageurs : un avocat, un prêtre, une infirmière, un homme d’affaire, une mère d’une famille, un travailleur de la construction, une servante de famille bourgeoise. À la fin de chaque chapitre racontant la vie d’un des figurants, Wilder se demande : était-elle, était-il prêt à rencontrer son créateur ? La même question pourrait se poser pour les quelque 3000 personnes qui ont perdu la vie lors de l’attaque terroriste du 11 septembre, ou encore, lorsque quelqu’un est tué dans un accident, meurt d’un cancer, est victime d’un tsunami ou d’un tremblement de terre.
Certaines personnes croient que la foi chrétienne est une sorte d’aliénation, une croyance qui n’a d’influence qu’après la mort et que les chrétiens ne sont pas intéressés au temps présent… c’est exactement le contraire. La foi chrétienne nous invite à agir maintenant, à ne pas gaspiller le temps qui nous est donné. L’éternité commence maintenant et le temps nous est offert comme un cadeau pour que nous ouvrions les yeux et le cœur afin de faire autant de bien que possible.
«Soyez prêts !» Il ne s’agit pas de deviner quand le moment de la mort arrivera, mais bien d’être toujours prêts à rencontrer le Seigneur.
Nous les chrétiens ne vivons pas avec un calendrier dans les mains, essayant de découvrir le jour où le Seigneur viendra, nous vivons avec une boussole qui nous indique la direction à suivre pour arriver à bon port. Et lorsque le jour de la mort arrivera, que ce soit dans une semaine ou dans plusieurs années, nous serons prêts, avec de l’huile en réserve.
L’huile de la charité permet à notre lampe de rester allumée : «Chaque fois que vous l’avez fait pour l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait.» Dieu nous donne le temps pour que nous puissions bien nous préparer à sa venue. «Celles qui étaient prêtes entrèrent dans la salle de noces.» L’évangile souligne ici qu’en fin de compte nous devons seuls assumer la responsabilité de nos choix
La foi chrétienne nous invite à agir maintenant, à ne pas gaspiller le temps qui nous est donné.