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HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.)

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« Enseignants clandestins »

Jésus redonne au pauvre sourd-muet la capacité d’écouter les autres et de prendre la parole. En réfléchissant sur cet évangile, l’abbé John Dane rappelait que ce handicap l’empêchait de participer aux coutumes et aux traditions de son peuple, car il ne comprenait pas ce qui se passait et il ne pouvait pas s’exprimer. Et Dane ajoute qu’il en est souvent ainsi pour plusieurs chrétiens dans notre monde moderne. Les pays dominants imposent leurs valeurs et leur langue, en empêchant ceux et celles des autres pays d’utiliser leur langage et de conserver leurs propres traditions. Il propose comme exemple l’Irlande au 16e et 17e siècle. Les envahisseurs anglais avaient défendu aux gens de parler leur langue, de transmettre leurs traditions, de célébrer leurs fêtes religieuses. Tout avait été mis en place pour que fonctionne à plein le «processus d’assimilation» à la langue et à la culture britannique.

Ce qui a sauvé la culture et la religion du peuple irlandais, ce sont les «hedge-school teachers», c’est-à-dire les enseignantes et les enseignants clandestins. Ces jeunes adultes allaient le long des sentiers des campagnes d’Irlande avec un ou deux adolescent(e)s, longeant les murs de pierre que l’on retrouve un peu partout en Irlande (d’où le nom de hedge-school teachers), et ils leur enseignaient, en cachette et de façon «illégale», la langue maternelle et les traditions ancestrales. Ils parlaient de leurs anciennes fêtes religieuses, du folklore irlandais, de la foi de leurs aïeux. C’est ainsi que la culture et la religion irlandaises, vieilles de plusieurs siècles, ont pu être conservées, malgré l’oppression des envahisseurs.

Aujourd’hui, des millions de chrétiens du 21e siècle, ont perdu leur langage ancestral, leurs fêtes religieuses, leurs traditions d’autrefois. Nous avons oublié notre héritage culturel et religieux. Nous sommes devenus sourds et muets face à nos traditions, comme l’homme de l’évangile d’aujourd’hui. Nous ne comprenons plus notre propre culture et ne pouvons plus l’expliquer à la génération montante.

Nous aussi aurions besoin de «hedge-school teachers», d’enseignants clandestins pour apprendre aux jeunes et aux moins jeunes le langage chrétien, les traditions religieuses et la culture de nos ancêtres. Bien sûr, les abus de pouvoir des dirigeants religieux doivent être condamnés, les gaffes du clergé corrigées, les fêtes et les traditions épurées, purifiées, nettoyées, mais l’essentiel reste valable et constitue une valeur sûre qui mérite d’être transmis.

Un peu comme le sourd qui avait de la difficulté à parler, la jeune génération ne sait plus parler la langue des ancêtres parce qu’elle s’est fait imposer le langage, les traditions, les coutumes de la culture dominante : ceux de la postmodernité, de la consommation effrénée, et de l’individualisme à outrance.

Nous avons perdu une bonne partie de notre langage religieux et la majorité de nos fêtes traditionnelles. Pensez seulement à ce qui est arrivé à la fête de Noël avec ses cartes de «Season’s greetings», et essayez d’y trouver un motif religieux… c’est maintenant devenu la fête du Père-Noël. La fête de Pâques est la fête des lapins de chocolat! La Saint Jean Baptiste, fête nationale des Canadiens français, n’a plus aucun lien avec la culture religieuse du passé! Et toutes les autres fêtes ont été remplacées par des célébrations de week-end prolongé!

Demandez aux jeunes ce qu’ils savent de la fête de l’épiphanie, de la présentation au temple, de la saint Jean Baptiste, de la fête de St-Pierre et St-Paul, de la fête de tous les saints?… Pour ce qui est de connaître le langage chrétien : le Notre Père, le sermon sur la montagne, les paraboles, les épisodes du vendredi saint, les commandements, etc. tout cela constitue un langage inconnu qui ne fait plus parti de l’apprentissage familial et scolaire.

Dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas facile de vivre en chrétiens. La pression sociale est très forte. Une jeune fille qui n’a pas fait l’amour à dix-huit ans doit cacher ce fait comme si c’était honteux. Un jeune adulte est arriéré s’il n’a pas essayé la drogue. La violence à la tv, l’intimidation (bullying) à l’école, le sexe à volonté, l’obligation de réussir à tout prix, font parti de notre culture, dans une société de compétition effrénée. Un peu comme aux Irlandais du 16e et du 17e siècles, on nous oblige aujourd’hui à parler le langage du plus fort, de la civilisation dominante.

Nous les chrétiens devons réapprendre à écouter la parole de Dieu afin de comprendre son message et devenir nous aussi des enseignants clandestins. Nous pourrons alors transmettre aux jeunes notre langage, nos valeurs, nos traditions, parler de nos fêtes, même si elles ne sont plus soulignées dans les calendriers de la culture laïque, souffler à l’oreille des enfants l’histoire et la fierté de nos familles chrétiennes, leur présenter nos valeurs fondamentales.

La préparation à cette responsabilité vitale commence par nos rencontres eucharistiques. Nous apprenons à écouter la parole de Dieu et nous nous engageons à vivre de cette parole, à la partager avec d’autres. Le Seigneur peut ouvrir nos oreilles pour nous permettre de bien comprendre sa parole et nous donner le courage de proclamer son message. C’est le sens du miracle raconté dans l’évangile d’aujourd’hui.

Dans le temps de S. Marc, les chrétiens devaient faire face aux mêmes difficultés que nous. L’état romain, malgré sa tolérance apparente, était un état laïc et les gens qui, comme les premiers chrétiens, n’étaient pas conformes et ne faisaient pas le jeu des autorités en place, étaient poursuivies. Malgré ces menaces, les chrétiens se rassemblaient dans les maisons, le jour du Seigneur, transmettaient leurs valeurs, leur langage, leurs traditions aux plus jeunes. C’est grâce à cette transmission clandestine que la foi chrétienne est parvenue jusqu’à nous.

Il ne s’agit pas de rejeter la culture dans laquelle nous vivons mais de savoir y conserver nos valeurs, nos fêtes, notre langage et nos traditions, comme les premiers chrétiens l’ont fait dans l’empire romain. «Seigneur, ouvre nos oreilles pour comprendre ton message et délie notre langue pour savoir l’annoncer».



HOMÉLIE DOMINICALE

Ce peuple m’honore des lèvres

(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada)

Saint Marc mentionne une douzaine de controverses mettant aux prises Jésus et les autorités religieuses de son temps. Aujourd’hui, il mentionne la controverse sur la tradition des anciens. Les scribes et les pharisiens posent à Jésus la question suivante : «Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens? Ils prennent leurs repas sans s’être lavé les mains

Jésus respecte la tradition, à condition qu’elle soit dynamique et vivifiante, qu’elle favorise une meilleure qualité de vie. La tradition doit nous libérer et nous aider à mieux vivre. Il ne s’agit pas simplement de répéter les gestes du passé, mais d’agir en conformité avec ce que nous croyons être importants pour nous.

Ghandi, qui était intrigué par le Sermon sur la Montagne et par Jésus-Christ lui-même,  disait : «J’ai beaucoup d’estime et de respect pour le Christ, mais non pour les chrétiens… car ils disent et ne font pas.» Et il savait de quoi il parlait. Lorsqu’il avait voulu assister à une messe en Afrique du Sud, les chrétiens l’avaient empêché d’entrer, en lui disant que cette église était pour les blancs et qu’à deux coins de rue, il trouverait une église pour les noirs. Ghandi ne remit jamais les pieds dans une église. Cet épisode nous rappelle toutes ces années aux USA et en Afrique du Sud où les noirs ne pouvaient participer aux eucharisties des blancs.

Nos traditions sont souvent tintées de préjugés et de discriminations. Le Christ a lutté contre ce genre de traditions. Dans la parabole du bon Samaritain, il rappelle au prêtre et au lévite qu’ils auraient mieux fait de s’approcher de l’homme blessé et de lui venir en aide, plutôt que de s’en éloigner afin de suivre leur tradition et de ne pas enfreindre les lois du culte qui interdisaient de toucher un blessé ou un mort! «Sépulcres blanchis. Vous donnez l’apparence d’être justes, mais au-dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité. Vous observez les choses qui paressent, tout en négligeant les points les plus importants de la Loi,  la justice, la miséricorde et la bonne foi.» (Matthieu 23, 23)

Le Seigneur est très dur envers les scribes et les pharisiens parce qu’ils pratiquent leur religion de façon superficielle, et ne répondent pas à l’essentiel de la Loi : «Guides aveugles… hypocrites…»

Jésus nous invite aujourd’hui à réfléchir sur nos pratiques religieuses et nos croyances. La source de notre action, affirme-t-il, se trouve au fond de notre cœur. Tout n’a pas la même importance dans la vie. Souvenez-vous de ce que Jésus disait au sujet de l’offrande à l’autel : «Si tu apportes ton offrande à l’autel et que là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande. Va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis reviens présenter ton offrande.» (Matthieu 5, 23-24) La réconciliation est plus importante que toutes les offrandes à l’autel. En mettant tout sur le même plan, nous détruisons notre échelle de valeurs. Il n’y a pas si longtemps, c’était un péché grave de boire un peu d’eau après minuit et de recevoir ensuite la communion! C’était un péché grave de manger de la viande le vendredi! Il y a des choses plus importantes que de boire un peu d’eau ou de manger de la viande certains jours de la semaine. Faire de ces actes «des péchés mortels» et mettre sur le même plan une gorgée d’eau avant la communion et le refus d’aider un blessé le long de la route (parabole du bon Samaritain), risque de dévaluer toute une série d’actions qui sont beaucoup plus importantes. «Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi». La loi du Seigneur doit prendre sa source au fond de notre cœur. C’est de l’intérieur que viennent les bonnes et les mauvaises intentions. À mesure que nous devenons plus matures dans notre foi, la parole de Dieu progresse en nous et devient source de lumière et de vie. Dans la deuxième lecture, Saint Jacques nous invite à «recevoir avec docilité la Parole qui a été implantée en nous et qui peut nous sauver» (Jacques 1, 21). Nous avons ici la très belle image d’une petite graine qui est implantée et mise en terre dans notre cœur, d’une semence qui doit se développer et croître à maturité. Cette semence produira ses fruits, si elle est protégée et entretenue.

Aujourd’hui, Jésus nous indique la source du bien et du mal : le cœur humain. «C’est du dedans, du cœur de l’homme que sortent les pensées perverses». Il veut changer notre cœur de pierre en cœur de chair. Il nous invite à revoir continuellement notre échelle de valeurs afin de placer ce qui est le plus important en haut de notre agenda. «Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi



HOMELIE DOMINICALE

(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.)

« Moi, je suis le pain de vie« 

La première lecture de ce dimanche est une excellente introduction au discours de Jésus sur le «pain de vie». Le prophète Elie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marche toute une journée dans le désert. Au passage, il a laissé son serviteur à Béer-Shéva et s’est enfoncé dans la solitude de cette terre aride. Il est exténué, découragé et doutant de lui-même. Il craint pour sa vie, car la reine Jézabel a donné ordre à la police royale de l’abattre.

Élie traverse une crise profonde. Il désire maintenant entrer dans les rangs et n’être plus celui qui affronte les adversaires de Dieu. Il veut redevenir comme tout le monde : «maintenant ça suffit, Seigneur, parce que je ne suis pas meilleur que mes pères». C’est la tentation d’échapper à sa mission de prophète. Élie a un moment de faiblesse. Il s’agit de fatigue personnelle, mais plus encore du désir d’abandonner la lutte face à la persécution religieuse de son peuple. Lui qui avait été le grand vainqueur des prophètes de Jézabel, le voilà incapable de mettre un pied devant l’autre. Assis sous un genêt, il souhaite mourir.

Dieu redonne alors au prophète le soutient spirituel et corporel dont il a besoin. Ici le texte rejoint celui du «pain de vie» : «Lève-toi et mange, car autrement le chemin serait trop long pour toi». Après avoir mangé le pain offert par Dieu, la fuite d’Élie se transforme en  pèlerinage à la source de la foi d’Israël. Au pied du Mont Sinaï, il découvrira Dieu comme il ne l’a jamais connu auparavant, «dans le souffle d’une brise légère», un Dieu de tendresse et de bonté.

Élie est bien semblable à chacun de nous lorsque la défaite, l’adversité, la maladie nous atteignent. Sur un lit d’hôpital, le sportif le plus compétitif, l’homme d’affaire le plus aguerri, le travailleur le plus consciencieux est complètement démuni et à la merci des membres du personnel médical. Il attend avec crainte les résultats d’un rayon X ou d’un scan, il apprécie les remarques de l’infirmière qui le complimente pour avoir terminé sa soupe. Lui qui était habitué à donner des ordres, à juger les autres souvent avec dureté, découvre maintenant sa propre faiblesse et sa misère humaine.

Tôt ou tard dans notre vie, il y a «la crise du jour après»… le jour après la victoire, le succès, la conquête, le triomphe, la réussite, l’exploit. C’est alors la crise du découragement, de la monotonie, de l’ennuie, du manque d’appréciation pour tout ce que nous avons fait. Nous sentons souvent que nous ne sommes pas aimés comme nous devrions l’être, que nous ne sommes pas appréciés, que notre vie n’a pas de sens.

C’est alors que Dieu s’approche et nous offre le pain nécessaire à la longue marche dans le désert. Notre fuite peut alors devenir un pèlerinage, une route qui nous conduit à la source de la vie.

Élie était un grand prophète. Il avait été adulé, célébré, craint, et maintenant, c’est la crise et la déprime. Or, voilà qu’au sein même de la fuite et de la détresse, il va découvrir un Dieu de compassion. L’ange du Seigneur lui apporte la nourriture nécessaire pour survivre dans sa longue marche en lui disant : «Lève-toi et mange, car autrement le chemin serait trop long pour toi.» Il y puisera la force de marcher quarante jours et quarante nuits jusqu’au mont Sinaï. Dans l’évangile, Jésus ajoute : «Moi, je suis le pain de vie… si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.»

Élie découvrira le vrai visage de son Dieu, dont la toute-puissance est celle de l’amour et «de la douceur d’une brise légère».

À nous comme au prophète, Dieu offre le pain du ciel, le pain de vie, qui nous aide à marcher jusqu’au bout, à nous rendre jusqu’à la montagne du Seigneur. Chaque fois que nous nous approchons de la table eucharistique, le Seigneur nous rappelle qu’il est le pain vivant qui donne force et courage pour la longue route à faire.

«Lève-toi et mange, car autrement ta route sera longue»



HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada).

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« Je suis le pain de vie »

Nous continuons aujourd’hui l’étude du 6e chapitre de S. Jean. La semaine dernière, nous avons assisté à la rencontre de Jésus avec la foule dans le désert et le miracle de la multiplication des pains. Ce miracle occupe la place centrale parmi les sept miracles retenus par S. Jean.

Le jour après la multiplication des pains. Jésus et ses disciples traversent le lac de Génésareth et le Seigneur commence son long discours sur le pain de vie.  «Le Pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde». Quelle belle expression! Le Christ est le Pain dont nous avons besoin pour vivre. «Il est venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance.» (Jean 10, 10)

Il y a deux espèces de vie, comme il y a deux espèces de pain. Vous travaillez pour votre nourriture corporelle, dit Jésus, à ces paysans. Or c’est une nourriture périssable, pour une vie périssable. Il existe une autre nourriture, un «pain venu du ciel, pour une vie éternelle

Quelle est cette nourriture, lui demandent-ils ? «Je suis le pain de vie, venu du ciel». «Ceux qui viennent à moi, n’auront plus jamais faim». Le Seigneur met ici l’accent sur la plénitude et sur le rassasiement.

Tout en mentionnant la manne du désert, Jésus fait allusion au statut de l’homme pécheur dans la Genèse (ch. 3). «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front». Nourriture obtenue par un travail éreintant, nourriture qui ne parvient pas à conjurer la décrépitude et la mort, nourriture-sursis, qui monte de la terre, moyennant le travail harassant et la sueur du front.

Dans le texte de Jean, tous ces termes sont inversés. Jésus annonce un pain nouveau qui ne monte pas de la terre mais qui descend du ciel. Un pain qui n’est pas le fruit du travail car le seul effort requis pour le recevoir est de l’accepter dans la foi. Ce que Dieu espère de nous c’est que nous croyions que le Christ est notre pain de vie.

L’eucharistie n’est pas simplement un repas, une liturgie où tout doit se dérouler selon les normes et les rubriques, où chacun joue le rôle qui lui est assigné. Il ne s’agit pas de somptueux vêtements liturgiques, de riches décorations, de musique inspirante, d’homélies bien préparées… Il s’agit d’une rencontre communautaire qui fait grandir notre foi en Jésus, le pain venu du ciel. Lorsque je travaillais au Mexique, je me souviens d’avoir célébré l’eucharistie dans des baraques de fortune. Mais, la communauté chrétienne était présente et participait activement, avec joie et conviction. Le Christ était présent, comme il l’est dans nos grandes églises et dans nos cathédrales.

Dans l’un de ses livres, le P. Joseph Pellegrino pose la question : «Qu’est-ce qui fait qu’une personne est chrétienne?» Est-ce le baptême? Des centaines de gens sont baptisés et ensuite, n’ont plus aucun contact avec le christianisme. Est-ce le fait d’appartenir à une paroisse? De remplir des formulaires pour obtenir la confirmation des enfants, où pour se marier dans l’église? Qu’est-ce qui fait qu’une personne est chrétienne? La réponse est simple : Jésus Christ. Tout ce qui est important dans le christianisme tourne autour du Christ. Ceux et celles qui lui rendent hommage et le laisse entrer dans leur vie de tous les jours, sont des chrétiens. «L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé».



HOMELIE DOMINICALE

(Homélie du père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada(.

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« Cinq pains d’orge et deux poissons« 

Pendant cinq des dimanches d’été, nous interrompons la lecture de l’évangile de saint Marc, pour lire le fameux chapitre six de saint Jean. Il s’agit d’un long récit qui commence par la «multiplication des pains», et qui se poursuit avec le «discours sur le Pain de Vie». Reprenant les paroles de Jésus, S. Jean nous offre, dans ce chapitre, une méditation sur le partage et sur l’Eucharistie.

Le pain, nécessaire pour vivre, a toujours été au centre du message du Christ. C’est pourquoi il l’a inclus dans la prière du Notre Père : «Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour». Le Christ savait que l’être humain a d’abord besoin de manger et de boire avant tout autre chose. Bien sûr, nous ne vivons pas seulement de pain mais aussi d’amour, d’amitié, de paix et d’harmonie, mais, sans le pain de chaque jour, il est impossible d’apprécier les autres bonnes choses de la vie. Dans le texte de ce matin, le Christ nourrit une foule de gens affamés et nous invite à réfléchir sur la faim dans le monde : «Où nous procurerons-nous le pain nécessaire pour nourrir tous ces gens ?»

En tant que Juif de Palestine, Jésus a été élevé dans une culture et une religion qui apprécient toutes nourritures. Ils y voient un don de Dieu. Les Juifs considèrent la nourriture comme une chose sacrée et ils font toujours une prière de remerciement avant de manger. En Palestine au temps de Jésus, la nourriture n’était pas très abondante et la famine menaçait continuellement. Rien n’a beaucoup changé dans notre monde d’aujourd’hui. On a l’impression que le problème de malnutrition et de famine s’est accentué. En 1900, la population mondiale était de 1.6 milliard. Nous atteignons maintenant 7 milliards! La faim tue chaque année des millions de personnes, plus que le SIDA, la malaria et toutes les autres maladies infectieuses réunies.

Les famines se multiplient dans des douzaines de pays, même si nous cultivons assez de nourriture dans le monde pour permettre à chaque homme, femme et enfant de recevoir les 3000 calories nécessaires à la survie. Les gens meurent de faim, non pas parce qu’il n’y a pas assez de nourriture, mais à cause d’une distribution injuste. Il y a peu de temps, le canal de télévision CNN affirmait que 2% de la population possèdent actuellement 50% des revenus et un quart de l’humanité accapare les trois quarts des ressources de notre planète.

Les pays riches sont plus intéressés à vendre des armes aux pays pauvres, que de les aider à sortir de leur sous-développement et de leur misère. Avec ce que coûte un porte-avions, on pourrait acheter 3 mille tonnes de grain. Et pour le prix d’un bombardier, on pourrait construire trente écoles! Les États-Unis dépensent mensuellement 4 milliards pour maintenir leurs troupes en Irak! Sans compter les millions que d’autres pays impliqués dans le conflit ajoutent à ces dépenses exorbitantes.

Le président Eisenhower a observé de façon très juste que «chaque fusil qui est fabriqué, chaque navire de guerre qui est construit, chaque missile lancé est en définitive une fraude et un vol perpétré à l’endroit de ceux et celles qui ont faim et ne sont pas nourris, à l’endroit de ceux et celles qui ont froid et n’ont pas de vêtements pour se vêtir.» Le Général Eisenhower, homme de guerre, savait de quoi il parlait.

Imaginez ce que pourrait être notre monde si les montagnes d’argent dépensées en armements, en fraude, en jeux de hasard, en alcool, en drogue, étaient mises au profit de ceux et celles qui sont dans le besoin, si l’on utilisait cet argent pour l’irrigation des déserts, l’éducation, la recherche médicale, l’édification de digues, la lutte contre la faim dans le monde.

Devant les énormes problèmes de manque de nourriture, nous nous sentons totalement impuissants. Le Christ demande à Philippe: «Où pouvons-nous acheter du pain pour que tous ces gens puissent manger?» Et Philippe de répondre : «Le salaire de huit mois de travail ne suffirait pas pour que chacun ait un peu à manger.» Ce qui veut dire : «nous ne pouvons rien faire. Le problème est trop grand pour nos moyens très restreints». C’est alors que l’un des disciples ajoute : «Il y a ici un jeune garçon qui a cinq petits pains d’orge et deux poissons. Mais cela n’est rien pour combler les besoins d’une telle foule».

Cinq pains d’orge (le pain des pauvres) et deux poissons! La multiplication des pains par le Christ a été possible grâce à la générosité de ce jeune garçon. Certains exégètes ajoutent : c’est sans doute grâce à cette générosité que d’autres personnes présentes décidèrent eux aussi de partager le peu qu’ils avaient… Et il y en eut pour tout le monde, il y eut même des restes. Souvent nous faisons cette même expérience lors d’un pique-nique. Chacun partage ce qu’il a apporté et à la fin il y a des restes.

Combien de personnes disent : «J’aimerais bien aider mais je n’ai pas d’expérience, pas d’habilité dans ce domaine. Tant d’autres personnes peuvent le faire mieux que moi. Je cède la place à des gens plus experts!» Plusieurs, sous prétexte qu’ils n’ont pas assez d’éducation, d’expérience, de connaissance, de moyens financiers, ne font rien. Jésus nous dit aujourd’hui : «Apportez vos cinq petit pains d’orge et vos deux poissons, et voyez ce qu’on peut en faire».

Lorsqu’il y a des besoins, nous ne pouvons résoudre le problème seuls. Mais avec Dieu et avec les autres, nous pouvons améliorer la situation. Le Seigneur a besoin de notre contribution, si petite soit-elle. Dieu ne fait pas de miracle à partir de rien, il les fait à partir des cinq petits pains d’orge et des deux poissons.

Dieu a besoin de S. Vincent de Paul, de Mère Térésa, des Alcooliques Anonymes, de la Croix Rouge, de la Popote roulante, de Centre-Aide, de l’Armée du Salut, de ceux et celles qui visitent les malades, de ceux et celles qui donnent un peu d’argent  pour aider les victimes de catastrophes naturelles et de guerres de toutes sortes.

Essayons, comme nous le demande Paul dans la 2e lecture, de «mener une vie digne de l’appel que nous avons reçu.» Soyons généreux, partageons notre temps, nos talents, notre argent. C’est ainsi que nous pourrons ensemble améliorer un peu les problèmes de notre monde.



HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du père  Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada)

« La spiritualité de l’échec »

Les trois lectures de ce dimanche nous parlent de la «spiritualité de l’échec» : le prophète Ézéchiel reçoit de Dieu l’ordre de rester debout face à un peuple qui refuse son message. Paul  avoue avoir une «écharde dans la chair», un échec qu’il a des difficultés à surmonter. Et Jésus essuie un échec dans son propre village. L’échec fait partie de notre vie, mais Dieu nous aime malgré nos échecs.

«L’écharde» de Paul est un bon exemple de tout ce qui ne réussit pas dans notre vie et de toutes nos faiblesses humaines. Dieu lui dit alors : «Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse». Paul est appelé à s’accepter tel qu’il est, tout en corrigeant son image de Dieu. Le Seigneur n’a pas besoin de nos performances exceptionnelles. Il nous aime tels que nous sommes.

Dieu construit, paradoxalement, sur nos pauvretés, même si la raison humaine prétend le contraire. Nous appartenons à une civilisation qui ne glorifie que le meilleur, le premier, le numéro un… en politique, en sport, en carrière! C’est la loi du plus fort. L’évangile, par contre, est une Bonne Nouvelle pour tous mais particulièrement pour celles et pour ceux qui ne sont pas les meilleurs, qui éprouvent toutes sortes de difficultés : les malades, les faibles, les rejetés, les derniers de l’équipe, les exclus.

Nous subissons tous des échecs dans nos projets personnels, dans les études, le mariage, la carrière, l’éducation des enfants. Notre santé est précaire, nous avons des addictions, des limites, des faiblesses.

L’échec peut venir de différentes directions. Dans le texte d’aujourd’hui, il est le résultat de la prédication des valeurs du Royaume. Un message de vérité, d’amour, de justice, de paix est rarement bien reçu et soulève souvent l’opposition, l’hostilité, la haine et la violence! De nombreux artisans de paix en sont les témoins : Martin Luther King qui défendait les droits des minorités; Ghandi, un Hindou qui s’était lié d’amitié avec les Musulmans; Dietrich Bonhöffer, un pasteur protestant, pendu par les S.S. parce qu’il s’opposait à l’extermination des Juifs et combattait la politique de mort d’Adolf Hitler; Mgr. Romero qui dénonçait l’exploitation des plus pauvres. Ce dernier est mort assassiné, alors qu’il célébrait l’eucharistie.

Helder Camara a parcouru le monde comme messager de la paix et de la fraternité; Mère Teresa apportait aux malades et aux démunis un peu de réconfort et de chaleur humaine; Jean Vanier, grâce aux Foyers de «l’Arche», proclame la grandeur des petits, des handicapées, des sans-défenses; Mgr Desmond Tutu lutte pour la libération de son peuple et combat toutes les discriminations et toutes les injustices.

Des organismes comme Amnistie Internationale, Développement et Paix, Green Peace, Médecins sans frontières dénoncent les injustices et font prendre conscience de la grande misère de notre monde.

Voilà pour nous des exemples de personnes et d’organismes engagés, qu’il nous faut non seulement admirer mais nous efforcer d’imiter.

Le cardinal Daneels disait que notre époque pouvait être caractérisée par l’apparition de «l’homme sans vocation». Selon lui, on ne conçoit plus de réels projets d’avenir. Ceux que l’on choisit restent inscrits dans le cadre étroit de l’instant présent : confort économique, satisfaction des besoins sentimentaux, sécurité à la maison et au travail, liberté absolue… Contrairement à ces objectifs très personnels et souvent très égoïstes, la vraie vocation de l’être humain est d’être au service des autres. Elle est communautaire et fraternelle et donne un sens à la vie.

Nous trouvons facilement des excuses pour ne pas aider les autres : nous n’avons pas de charismes spéciaux, nous ne sommes pas membre d’une communauté religieuse, nous sommes trop occupés avec notre travail et notre famille, etc. Servir n’est pas réservé aux religieux ou aux organismes de bienfaisance. Jean Vanier, Raoul Follereau, Nelson Mandela, sont des laïcs qui ressemblent à chacun de nous, mais ils ont eu le courage de s’engager et d’aider les plus démunis! Pour être au service des autres, nous n’avons pas besoin d’être des gens exceptionnels.

L’évangile de ce dimanche nous invite à réfléchir sur nos échecs, ce qui peut nous offrir l’occasion de nous accepter nous-mêmes, de grandir dans l’estime de soi, et de faire croître notre foi. Nous pouvons alors passer à l’action, au service de ceux et celles qui ont besoin d’aide.



HOMÉLIE DOMINICALE

Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.

« Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée »

Après le chapitre sur les paraboles (4, 1-34), l’évangile de Marc nous présente Jésus qui continue la formation de ses disciples à travers une série de miracles. Le premier est celui de la tempête apaisée, le second la libération du possédé de Gerasa et aujourd’hui la guérison de la femme qui souffrait depuis douze ans et la résurrection de la fille de Jaïre. Ces miracles montrent la bonté de Dieu et servent de leçon d’apprentissage, de pédagogie pastorale pour les apôtres et pour nous.

Les maladies chroniques, les cancers de toutes sortes, la mort prématurée font voler en éclat toutes nos illusions et toutes nos prétentions au contrôle de notre vie. Plus on avance en âge, plus on se rend compte qu’on a peu d’emprise sur notre santé physique et mentale. Malgré tous nos efforts, le vieillissement, la maladie et la mort nous rattrapent inexorablement.

Je me souviens d’avoir administrer le sacrement des malades à une personne d’une soixantaine d’années. Les médecins lui avaient donné 48 heures de vie. L’homme avait travaillé sans relâche pendant toute sa vie. Il était à la retraite depuis peu et comptait en profiter au maximum. Il avait élaboré toute une série de projets pour ses années de retraité. Un cancer virulent l’emporta en moins de trois mois. Lors de ma visite, il était calme et résigné. Avec le sacrement des malades et s’était réconcilié avec son Dieu, et, quelques heures plus tard, il est décédé tout doucement, entouré de sa famille.

La maladie et la mort sont de grandes pédagogues et nous invitent à ne pas trop nous attacher aux biens de ce monde, à nous préparer à faire face à ces réalités de fin de parcours que l’on essaie souvent d’ignorer. On refuse d’y penser et on agit comme si elles n’existaient que pour les autres. La maladie et la mort sont des moments importants de notre vie.

Aujourd’hui, l’évangile nous parle d’une femme, souffrant d’une maladie débilitante. C’est pour elle non seulement une souffrance et un handicap mais aussi la cause de rejet et de discrimination. La malade «qui souffrait de perte de sang depuis douze ans» était considérée comme impure. Elle devait se tenir loin des autres. Si elle touchait quelqu’un, cette personne devenait impure. Tabous et préjugés, résultats d’ignorance médicale! Vis-à-vis la fille de Jaïre, Jésus savait que, dans sa culture, toucher à un cadavre rendait une personne impure. Jésus n’avait pas peur de lutter contre les tabous et les préjugés de toutes sortes, lui qui mangeait avec les lépreux et les pécheurs et ne craignait pas d’entrer en contact avec eux.

Le texte d’aujourd’hui souligne de façon spéciale le verbe toucher : la femme touche Jésus et est guérit, Jésus prend la petite fille par la main et lui redonne la vie. S. Marc souligne ici l’importance du contact avec le Seigneur. Dans un chapitre précédent, il écrit que tous ceux qui avaient des infirmités se précipitaient sur Jésus pour le toucher (3, 10). Plus loin, il ajoute : «Partout où il entrait, villages, villes ou hameaux, on mettait les malades sur les places ; on le suppliait de les laisser toucher seulement la frange de son vêtement ; et ceux qui le touchaient étaient tous guéris» (6, 56). S. Luc, au chapitre 6, 19 écrit : «toute la foule cherchait à le toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous.» Pour les évangélistes, cette force n’a rien de magique. C’est la puissance de Dieu qui agit à travers Jésus et, s’il y a miracle, c’est en réponse à un acte de foi.

Nous portons tous nos souffrances physiques et morales. Nos vies sont fragiles. Mais nos manques, nos faiblesses, nos vides sont autant de raisons de vouloir toucher au Christ, entrer en contact avec lui. Il ne fera pas nécessairement disparaître nos maladies et nos fauteuils roulants. Mais il a le pouvoir d’apaiser nos angoisses et de raviver notre espérance.

L’évangile d’aujourd’hui souligne deux choses importantes :

  • a) La nécessité de revoir nos préjugés et nos tabous. Nous en avons tous! Nous sommes invités, à l’exemple du Christ, à ne pas avoir peur de nous approcher de ceux et de celles qui souffrent, de ceux et de celles qui sont malades et mis de côté.
  • b) l’importance de la foi. À la femme malade, le Christ dit : «Ma fille, ta foi t’a sauvée; va en paix et sois guérie de ton infirmité.» Et au chef de synagogue : «Sois sans crainte; aie seulement la foi

Nous pouvons nous interroger sur la qualité de notre propre foi et nous demander ce que nous faisons pour que cette foi puisse progresser, croître et atteindre une plus grande maturité. Pendant la période d’été, nous avons un peu plus de temps à notre disposition pour jouir de la nature, pour lire, méditer et prier. Demandons au Seigneur, en ce dimanche d’été, d’augmenter notre foi.



HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada).

« Dieu seul peut accorder la croissance »

 «Nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment.» On a appelé cette parabole «le grain qui pousse tout seul». Effectivement, tout se passe comme si personne ne s’occupait de ce grain jeté en terre, comme si le paysan se désintéressait de ce blé qu’il a semé. C’est l’une des paraboles les plus optimistes que nous ayons. Marc est le seul des quatre évangélistes à nous l’avoir rapportée. Il faut faire jouer notre imagination, et recomposer le processus imperceptible de cette croissance, et toujours aussi incompréhensible aujourd’hui qu’au temps de Jésus. Nos savants ont beaucoup progressé dans l’analyse des phénomènes de la vie, mais aucun d’eux ne sait encore exactement ce qu’est la vie. Dès qu’une graine est jetée en terre, elle commence dans le secret une fantastique alchimie de la matière, une série de merveilles invisibles. Que l’homme s’en tracasse ou non, elle pousse et se développe. Ce qu’il y a de plus important dans cette vie qui grandit ne dépend pas de lui. Une fois qu’il a enfouit les grains, une relation dynamique s’établit entre la semence et la terre. Les efforts du fermier ne sont plus requis.

En attendant le «temps de la moisson», un processus de croissance est à l’œuvre. C’est une illusion de penser que rien ne se produit. On ne voit pas ce qui se passe, mais la vie se développe vraiment. «L’essentiel est invisible à nos yeux», disait le renard au Petit Prince de Saint Exupéry. Ce qui arrive en nous et autour de nous est souvent de cet ordre-là : une force cachée, imperceptible, qui s’active sans que nous en soyons conscients.

Jésus indique aussi qu’il en va de même notre effort à répandre le message de la Bonne Nouvelle. Lui-même, si génial prédicateur qu’il fût, n’a pas réussi à convertir ses contemporains et sa propre famille. Pourtant, avec une audace folle, il croyait ne pas avoir perdu son temps à répandre la semence de l’espérance du Royaume. Et l’histoire lui a donné raison.

Cette petite parabole nous rappelle que pendant que la vie éclate de toutes parts autour de nous, nous devons apprendre à être calme, à ne pas nous agiter, à dormir tranquillement. Saint Paul disait qu’au lieu de se construire soi-même, le chrétien doit se laisser façonner par la grâce de Dieu. Le Seigneur est comme le sculpteur qui n’empile pas pierre sur pierre mais qui enlève ce qu’il y a de trop dans le bloc de marbre qu’il travaille. Ainsi le chrétien doit se laisser modeler en toute confiance.  Il doit aussi s’en remettre à Dieu pour le développement de la foi autour de lui. «J’ai semé, Apollon a arrosé, mais c’est Dieu qui donne la croissance», affirmait saint Paul.

Personne ne peut se sauver grâce à ses propres œuvres. Ce sont la foi et la grâce qui nous accordent le salut. Le grain de blé contient une force de croissance interne qui lui est donnée par Dieu. Je pense aux grains de blé découverts par Howard Carter dans la tombe de Toutankhamon, en 1922. Mises en terre, ils ont commencé à germer après 3000 ans dans la tombe du jeune fils de Pharaon.

Grâce à cette courte parabole de S. Marc, nous comprenons une fois de plus, que l’évangile n’est pas d’abord une «leçon de morale». Elle est «révélation» de Dieu qui nous a créés et a donné à la nature ses lois de développement et de croissance.

Le récit du grain de blé qui germe et se développe seul, alors que le fermier dort, est l’une des plus belles paraboles des quatre évangiles. Comme le disait le prophète Isaïe : «La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, pour donner la semence au semeur et le pain à celui qui mange; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission.» (Isaïe 55, 10-11)

L’action de Dieu est présente, même si nous ne la voyons pas.



HOMÉLIE DOMINICALE

(Homélie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.)

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Sa famille, vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : «Il a perdu la tête.»

 Au début de sa prédication, Jésus a eu du succès. La «foule», c’est-à-dire les gens du petit peuple, se pressaient autour de lui pour l’écouter. Marc, qui tient ses renseignements de Pierre, note qu’un jour il y avait tant de monde qu’on n’avait même plus de la place pour manger. Cette maison où Jésus se trouve est sans doute celle de Simon-Pierre, à Capharnaum, que Jésus avait adoptée comme la sienne. Dans les ruines actuelles de la ville de Capharnaum, les archéologues ont retrouvé la base d’une modeste maison de pêcheurs datant du ler siècle avant J.-C. sur laquelle avait été édifié un très ancien sanctuaire chrétien. Les graffitis de dévotions marqués dans les plâtres suggèrent qu’on aurait retrouvé cette «maison» où Jésus a souvent résidé.

C’est pendant que Jésus prêchait dans la maison de Pierre que les membres de sa famille sont venus pour le ramener chez-lui, à Nazareth. Sa famille disait : «Il est devenu fou… il a perdu la tête…» La famille de Jésus ne pouvait pas ignorer qu’il était «mal vu» des autorités religieuses… Ces autorités disaient non seulement qu’il était fou, mais qu’il était possédé et tenait son pouvoir de Satan. Marc a emboîté l’un dans l’autre l’épisode du «refus des scribes», et celui de la démarche de sa famille. Jésus est rejeté, méconnu… même par sa propre famille. Par deux fois, Marc note que la famille de Jésus «est dehors». Cette expression «ceux du dehors» est habituelle, dans l’Église des premiers siècles, pour désigner les «non-chrétiens». La scène, où Marie et la famille de Jésus viennent pour essayer d’arrêter la mission de Jésus, doit nous faire longuement méditer sur ce qu’est la foi. La foi de Marie, pas plus que la nôtre, n’est «toute-faite», une fois pour toutes. La foi ne peut se définir que comme une réalité qui évolue. Ce n’est pas dès le premier instant de l’Annonciation que Marie a compris qui était son fils. Luc, lui aussi, a noté que Marie, à certaines occasions, n’a «pas compris» Jésus. Exemple lorsqu’à douze ans il est resté dans le Temple, «la maison de son Père».

La famille de Jésus ne le reconnaissait plus depuis sa conversion, depuis qu’il avait quitté sa vie tranquille de Nazareth, pour se convertir en prédicateur ambulant. Sa famille savait parfaitement qu’il était mal vu des autorités, des scribes venus de la capitale, Jérusalem. «Il va nous faire attraper des histoires… allons, ramenons-le à la raison… réduisons-le à être comme tout le monde. Il est fou de se distinguer

Les scribes sont spécialement descendus de Jérusalem pour s’enquérir de lui, ce jeune Rabbi qui fait tourner la tête au peuple. Leur diagnostic est encore plus cruel que celui de sa famille. Jésus est pire qu’un simple d’esprit. Il est possédé par un démon impur, il est un suppôt de Satan.

Qu’a donc fait Jésus pour être considéré comme un suppôt de Satan ? Il annonçait que Dieu était venu parmi nous, qu’il libérait des possédés, guérissait des malades, s’approchait des lépreux et osait même les toucher pour leur rendre la santé. Il allait jusqu’à pardonner les péchés, il mangeait chez des gens de mauvaise conduite. Il prenait des libertés avec l’observance du sabbat. Il disait qu’il fallait mettre le vin nou­veau dans des outres neuves ! En somme, la subversion totale des traditions de son temps, et tout cela en se réclamant de Dieu !

Au temps de Jésus, la famille était sacrée. Ici, Jésus opère une rupture et déclare qu’il existe une autre famille plus forte que celle du sang, ouverte à toute humanité. Jésus se distancie de sa propre famille en utilisant une phrase choc : «Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère.» Et ensuite Jésus ajoute : «Amen, je vous le dis, Dieu pardonnera tout aux enfants des hommes, tous les péchés et les blasphèmes qu’ils auront faits. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’obtiendra jamais le pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours.» La première partie de la phrase ne nous étonne pas. Nous sommes persuadés que Dieu pardonne toujours. La miséricorde de Dieu est sans limite. Mais Jésus affirme qu’il existe un péché impardonnable: ce qu’il appelle le blasphème contre l’Esprit. Là encore, on croit entendre saint Jean : «Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu… Mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu» (Jn 1). Dieu ne peut pardonner à ceux et celles qui refusent d’être pardonnés.



HOMELIE DOMINICALE

( Homelie du Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.)

« Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour vous »

À la fin du cycle pascal et avant de reprendre le «temps ordinaire», la liturgie nous propose trois grandes fêtes qui célèbrent notre Dieu : la Pentecôte, fête de l’Esprit Saint, la Trinité qui révèle toute la richesse de Dieu, et la fête du Corps et du Sang du Christ, qui met l’accent sur le Dieu incarné, le Dieu-avec-nous : «Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des temps» (Mt 28, 20).

La fête de l’eucharistie, que l’on appelait autrefois la Fête-Dieu, est la célébration de l’alliance entre Dieu et nous. Il y a quelques années, nous aimions souligner cette alliance par une procession à travers les rues de nos villes et villages. Nous voulions affirmer notre foi au grand jour. Aujourd’hui, nous célébrons de façon plus simple et plus intérieure. Depuis plus de sept siècles, la Fête-Dieu souligne la présence du Seigneur parmi nous. Sainte Juliane de Liège, une religieuse de l’ordre de S. Augustin, en a été l’instigatrice et le Pape Urbain IV a demandé à saint Thomas d’Aquin de préparer une messe spéciale pour cette fête. Au 13e siècle, Thomas a écrit le Tantum Ergo et le O Salutaris Ostia. Ces hymnes d’une grande beauté reviennent de temps à autre dans nos liturgies.

L’histoire de la Bible est l’histoire de Dieu qui cherche à faire une alliance avec son peuple : avec Noé, après le déluge, avec Abraham son ami et avec Moïse, le libérateur. Plus tard, les prophètes annoncent une nouvelle alliance personnelle avec chacune et chacun de nous, alliance qui se réalisera en Jésus-Christ, le Dieu-avec-nous.

Lorsque le Christ a célébré la Pâque, il n’avait pas autour de lui des gens parfaits. Il y avait là Pierre, Judas, Jean et les autres apôtres. Le Seigneur connaissait leurs faiblesses. Il était habitué à manger avec les publicains et des pécheurs, il fréquentait les prostituées, les collecteurs d’impôts, les gens simples qui avaient confiance en lui. Même dans l’atmosphère solennelle de la chambre haute, même dans le cercle restreint des douze apôtres, on peut entendre la question : «Pourquoi mange-t-il avec des pécheurs?» L’eucharistie est le souvenir de ces repas du Christ avec ses amis, avec celles et ceux qui comptaient sur lui et qui trouvaient en lui leur salut.

Le Nouveau Testament nous offre quatre récits de l’institution de l’eucharistie : les récits de Marc, de Luc, de Matthieu et de Paul. Jean remplace l’institution de l’eucharistie par le lavement des pieds. Les quatre récits sont d’accord sur l’essentiel, mais ils nous présentent des formules un peu différentes prononcées par Jésus. Il est important de souligner ce fait, pour nous délivrer d’une conception trop «rituelle» des sacrements, comme si Dieu était lié à des mots précis, comme c’est le cas dans les formules magiques.

Il est évident qu’aucun des quatre récits ne raconte tout ce que Jésus a fait au cours de son dernier repas. En fait, on ne connait pas les paroles exactes prononcées par Jésus le soir du jeudi saint. Nous sommes en présence de textes liturgiques qui nous rapportent comment les premières communautés chrétiennes célébraient la mémoire, le souvenir de ce dernier repas du Seigneur. L’Église primitive a eu davantage le souci de vivre l’Eucharistie que de faire un compte rendu détaillé de la dernière Cène.

Le Seigneur est un Dieu de tendresse, de miséricorde et de réconciliation. Le soir du jeudi saint, en plus de partager avec ses disciples le pain et le vin, il s’est mis à leur service, il leur a lavé les pieds. Il a demandé de se souvenir de ce geste d’amitié : «Faites ceci en mémoire de moi… faites comme moi j’ai fait pour vous»… Il ne s’agit pas d’une mémoire conservatrice, paralysante, mais d’une mémoire dynamique et ouverte, qui nous invite à faire des choses nouvelles, à nous impliquer dans notre monde pour le rendre meilleur.

À travers l’eucharistie, le Christ souligne certains éléments importants pour notre vie en Église : d’abord il nous rappelle que la haine et la division peuvent détruire la fraternité de nos rencontres eucharistiques. C’est pourquoi il nous dit dans l’évangile : «si, lorsque tu viens présenter ton offrande à l’autel, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande

Les symboles de cette fête de l’eucharistie sont des symboles d’unité dans la diversité, de pain partagé entre tous. Nous nous retrouvons réunis : jeunes et vieux, de différents partis politiques, de différentes classes sociales. Il y a parmi nous des traditionalistes et des innovateurs, des saints et des pécheurs, des gens mariés et des célibataires. Mais tous, nous sommes frères et sœurs dans le Christ qui nous réunit autour de lui pour partager le pain de vie.

L’eucharistie a toujours un lien direct avec notre vie quotidienne. À la fin de la messe, le célébrant nous renvoie à nos familles, à nos maisons, à notre milieu de vie : «Allez dans la paix du Christ

À travers les siècles, des millions de chrétiens, au contact de la parole du Seigneur et au partage de son corps et de son sang, ont reçu une force nouvelle dans le sacrement que nous célébrons aujourd’hui.

Que cette fête du Corps et du Sang du Christ, cette fête de l’Eucharistie nous fasse mieux connaître le Dieu qui nous aime et nous considère comme ses propres enfants. Qu’elle redonne un sens à notre vie et augmente en chacun de nous la foi, l’espérance et la charité.