Homélie du 20 ème Dimanche du temps ordinaire
Dimanche 20 août 2017
(Homélie du Fr Jacques-François Vergonjeanne op)
« LA FOI QUI SAUVE »
Appel de détresse d’une mère.
« Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David. Ma fille est tourmentée par un démon ». Cet appel de détresse d’une mère, réveille en moi, et peut-être en vous, le souvenir de ces appels à l’aide qui ne cessent pas de nous interpeller. On ne peut répondre à chacun, il y en a trop. Il faut aussi y regarder de plus près: des aigrefins peuvent se camoufler derrière le masque de la misère. Ne soyons pas naïfs, ne distribuons pas à tout va. Tout au long de sa courte vie apostolique, Jésus a été assailli par la misère du monde: aveugle, boiteux, paralysés, sourds muets, lépreux, possédés etc … Les évangiles nous le montrent en train de guérir, du matin au soir (Mc 1,32-34). Inlassablement. Sauf quand il rencontre la mauvaise foi, comme dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,16-30). Mais, le plus souvent, il ne fait pas de détails comme lorsque nourris une foule à partir de quelques pains et de poissons (Mt 14,13-21). Alors, pourquoi oppose-t-il un refus à cette mère cananéenne ? Et de manière si désobligeante?
Comprendre cette attitude de refus de Jésus.
Une première réponse serait de dire qu’il veut mettre cette femme à l’épreuve. Si Dieu ne répond pas sur l’heure à nos demandes, c’est qu’il veut nous éprouver. Ce serait donc un refus pédagogique de la part de Jésus. C’est possible. Autre réponse, plus proche du texte évangélique. Jésus se montre soumis à la volonté de son Père qui ne l’a « envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ». Sa mission messianique ne concerne que le peuple juif. Dans un premier temps, du moins. Après sa mort et sa résurrection, lorsque l’Esprit de Pentecôte aura soufflé sur ses disciples, alors oui, l’universalisme qui pointe ici ou là dans le 1er Testament, pourra s’exprimer pleinement. « Ma maison sera appelée Maison de prière pour tous les peuples » avait prophétisé Isaïe (1ère lecture). Tout de même, pourquoi Jésus répond-il à cette femme de cette manière: « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens ». Une expression humiliante et même quelque peu méprisante. Il reprend à son compte, le mot de « chiens », par lequel les Juifs désignaient les païens. A l’époque, le chien n’était pas un animal de compagnie que l’on caresse, c’était un animal impur dont il fallait éviter le contact. Remarquons encore que l’évangile de Matthieu précise l’identité ethnique de cette païenne: c’est une Cananéenne, issue de ce peuple adorateur de dieux, des faux dieux qui ne sont que des idoles en bois. Entre Cananéens et Juifs on se méprisait.
La Cananéenne ouvre une brèche dans le plan de salut de Dieu.
Toutes ces explications ont leur part de vrai. Et pourtant, Jésus a fini par passer outre. Devant la souffrance de cette païenne, il n’a pu contenir sa compassion. Et la persévérance confiante, a fini par ouvrir une brèche dans le plan de salut de Dieu (R. Maire, La Croix, 17-08-08). Par une réplique pleine de finesse, elle retourne l’argument que Jésus oppose à sa prière: « C’est vrai Seigneur, mais justement les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître ». Devant une telle répartie, Jésus « craque ». Il ne retient pas son admiration: « Femme, ta foi est grande, que tout se fasse selon ton désir ». C’est comme si Jésus découvrait émerveillé que son Père ne lui donnait pas seulement les Juifs en héritage mais aussi les païens et que sa mission concernait tous les hommes (M. Corbin). Un cri d’admiration et d’exultation lui était sorti du cœur lorsque ses disciples étaient revenus de mission: « A l’instant, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit: Père je te rends grâce de ce que tu as caché cela aux sages et aux savants et que tu l’as révélé aux tout petits » (Luc 10,22). Après la Pentecôte, la conversion massive des païens qui cherchaient à entrer dans les communautés chrétiennes, posèrent des problèmes pastoraux difficiles aux apôtres. Le « pain des enfants », c’est-à-dire des judéo-chrétiens, pouvait-il être partagé aux païens qui se convertissaient ? Et à quelles conditions ? Fallait-il leur imposer les préceptes majeurs de la Torah ? L’unité des communautés étaient menacée. Finalement, la foi au Christ a été la seule exigence faite aux païens pour s’asseoir à la table de l’Eglise et y recevoir le « pain des enfants » (Cl. Tassin) et pas seulement les « miettes qui tombent de la table ».
La foi: qu’est-ce que c’est?
Lorsque Jésus dit à cette païenne: « Femme, ta foi est grande » que veut-il dire ? Elle lui demandait d’avoir pitié d’elle à cause de sa « fille tourmentée par un démon », avec une confiance absolue. Est-ce suffisant pour dire qu’elle a la foi au sens où l’entendent habituellement les chrétiens ? Le Christ ne lui a pas répondu « Ta foi t’a sauvée » comme il l’a fait souvent mais: « que tout se passe comme tu le veux » qu’on pourrait traduire: « que tout se fasse selon ton désir ». Et le désir puissant de cette mère c’était que sa fille chérie retrouve la santé du corps et de l’âme. Pour elle, c’était cela le salut de sa fille. Et pour obtenir cette guérison-salut elle avait misé toute son espérance sur le Juif Jésus. Avant d’être un credo ou l’adhésion à un ensemble de croyances, la foi consiste tout simplement mais vigoureusement à aller vers Jésus et à jouer sa vie sur Lui l’essentiel de sa vie (G. Bessière)
Le don de Dieu est fait pour tous les hommes.
La Cananéenne, en jouant son va-tout sur Jésus lui a fait devancer momentanément l’heure des païens. La foi de cette païenne est le signe avant-coureur de l’entrée des païens dans l’Eglise. Elle annonce un salut qui sera Bonne Nouvelle pour tous. Le festin du Royaume s’ouvrira à tous. Mais tous n’y entreront pas durant le temps de l’histoire. Mais, qu’en savons-nous ? Les croyants d’autres religions témoignent d’une foi telle, qu’ils nous stimulent dans notre foi de disciples. Laissons-leur la porte entrouverte. Ils ont peut-être recueilli davantage que des miettes tombées de la Table de la Parole et du Pain partagé.
« Pendant la guerre d’Algérie, un jeune Français du contingent reçoit l’ordre de donner à manger à un prisonnier algérien. Cet homme était resté accroché au mur, les bras en croix, deux jours durant. Il était d’une maigreur extrême. Lorsqu’on lui apporte à manger, il sort une main de sa djellaba et montre le soleil qui n’était pas encore couché, pour faire comprendre que ce n’était pas encore l’heure. C’était le temps du ramadan. Il l’a fait avec une telle dignité que les Français en ont été impressionnés. Deux jours plus tard, il a été libéré. Il y avait eu erreur, ce n’est pas lui qui était recherché ».
Il y a l’islam qui fait peur. Il y a aussi l’islam qui façonne des hommes de foi. C’est l’Esprit qui a inspiré à la Cananéenne de placer toute sa confiance en Jésus. Il est à l’œuvre dans la vie des hommes et des femmes de bonne volonté. Travaillons ensemble, en artisans de paix, à construire le Royaume de Dieu qui vient.